Approcher le mal, remonter à sa source : dans le processus cathartique de celui qui ne peut vivre avec un trauma sans finir par le regarder bien en face, Apprentice propose une expérience singulière.
Le récit suit, dans une prison de Singapour, le parcours d’une jeune recrue, Aiman, qui parvient à intégrer le quartier très fermé des exécutions capitales, en devenant l’assistant du bourreau.
Deux tendances cohabitent : celle du documentaire, glaçant, qui nous restitue les techniques de la pendaison, et les critères pour la réussir, en tuant instantanément sans prolonger les souffrances ; celle de l’esthétique, qui s’attache à restituer l’étouffement de l’univers carcéral. Qu’on soit sous la potence, dans les corridors ou dans l’appartement d’Aiman où il vit avec sa sœur, le traitement est identique : l’obscurité est constante, les cloisons omniprésentes, et le travail sur le son exploité pour accroître la claustrophobie.
La trajectoire pseudo tragique du protagoniste n’est pas de toute finesse, ni ses liens avec sa sœur ; c’est plutôt le portrait du bourreau qui retiendra l’attention, par son ambivalence extrême. Il reste celui qui met à mort sans sourciller, et même avec professionnalisme, allant jusqu’à y injecter une forme d’humanité, dans son rapport aux condamnés, dans son perfectionnisme. Certes, s’il leur ment pour les apaiser avant leur mort, c’est avant tout pour adoucir le déroulement de sa tâche. Il n’en demeure pas moins qu’il parvient à procurer, dans l’horreur de l’exécution, quelques répits qu’on n’exigeait pas de lui.
La fascination / répulsion est donc autant celle de l’apprenti que du cinéaste à son égard, et la mise en scène, fondée la plupart du temps sur un temps réel assez éprouvant, restitue avec efficacité cette assemblage glaçant de technique et d’effroi.
Le film peine cependant à trouver un point d’équilibre, tant dans son écriture que son esthétique. Boo Junfeng insiste toujours trop. Par le lien entre les deux personnages, et la façon opportune dont l’apprenti est condamné à devenir l’exécuteur, et ce regard qui ne cesse de filmer à travers des barreaux ou des demi-cloisons pour surligner avec pesanteur, et comme s’il était possible de l’oublier, que nous sommes en milieu carcéral.
Ce parallèle involontaire entre l’excès de zèle du bourreau et celui du metteur en scène finit par nuire au projet général : expliciter ses intentions est pertinent lorsqu’on apprend son métier à quelqu’un, mais le spectateur n’en demande pas tant.
(6.5/10)