Après la répétition mériterait un livre entier d'analyse (comme beaucoup de Bergman d'ailleurs). ici, il n'aura droit qu'à quelques lignes qui auront pour but de lancer quelques pistes de réflexions sur un film particulièrement dense en dépit de sa petite longueur. Originellement tourné pour la télévision, drame confiné à trois personnages, Après la répétition traduit tout l'art de la synthèse acquise par Bergman ; une synthèse qui ne se fait pas au détriment du discours, qui préserve richesse et profondeur. A tel enseigne que chaque ligne de dialogue pourrait devenir matière à réflexion.


Cinéma /théâtre


En une suite de plans serrés, Henrik Vogler, un vieux metteur en scène, réfléchit sur la scène vide d'un théâtre, une jeune femme (une des comédiennes, Rakel Egerman) entre, prétextant avoir oublié là un bracelet. Nous passons en plan large, le cadre de la scène, en lieu et place d'un spectateur. Mine de rien, ce début et ce simple changement de point de vue en dit beaucoup sur le film de Bergman. Dans La flute enchantée, le suédois avait déjà interrogé la différence entre cinéma et théâtre - tourné en gros plans, il montrait ce qu'un spectateur dans la salle ne voyait pas, comme les visages déformés par l'effort de chanter ou la machinerie qui, en coulisses, permettait au spectacle de se dérouler.


Réalité / Fiction


Il poursuit cette réflexion (il rend "cinématographique" un dispositif théâtral) mais va finalement plus loin : le spectacle ne s'arrête pas après la répétition, il continue, différent, plus profond et révélateur des tensions qui se jouent sur et en dehors de la scène. Le théâtre après le théâtre, c'est encore du théâtre. La barrière entre fiction (ou théâtre) et vraie vie est d'ailleurs poreuse, puisque comme le dit Henrik Vogler, le metteur en scène (Erland Josephson), les comédiennes se servent dans la vraie vie de leur truc de comédie pour émouvoir et ainsi arriver à leur fin. Toute comme, elles se servent de leur histoire personnelle pour mieux jouer et incarner leur personnage. La fiction dans la vie, la vie dans la fiction...
A un moment du film, Henrik raconte la scène initiatrice qui lui a donné envie de faire du théâtre, celle d'un comédien manipulant sur scène une simple épingle, expliquant qu'elle est à fois une ou double, suivant comment on la regarde ; une épingle qui n'existe pas et qu'il sait rendre présente. Comme une allégorie de la fiction en général qui sait rendre réel ce qui n'est qu'imaginaire.


Le temps


Par sa construction respectant la règle des trois unités, Après la répétition est censé se dérouler en continu dans un présent strict (d'ailleurs, Henrik le dit, il ne vit que pour et dans le présent). Mais la chose n'est pas si simple, déjà car chaque élément du décor témoigne du passé, notamment le canapé qui a servi jadis à Hedda Gabler. Bergman va doucement dynamiter cet état de fait et rendre complexe sa transcription du temps présent. D'abord, il le fait par l'emploi double et concomitant du dialogue et de la narration en voix-off : Henryk discute avec Rakel (comme il le fera ensuite avec Anna), mais par dessus, en voix off, Henryk commente parfois son discours, (regrettant immédiatement, ce qu'il vient de dire ou lui apportant un éclairage supplémentaire). Regarde-t-il a posteriori les images (ce qui contredit l'unité de lieu) ? Ou les deux voix sont-elles issues du "même instant", d'une même immédiateté certes, mais l'un émanant d'un temps réel (celui du "moi" qui parle ou qui écoute sans filtre) et l'autre d'un temps "imaginaire", un temps d'ailleurs qui n'appartient déjà plus tout au fait au réel (celui qui émane d'un "surmoi" qui analyse, juge).
Et puis, il y a d'abord une image, une simple image : alors qu'Henrik raconte un souvenir d'enfance (ce qui nous amène tout de même dans le passé), une image fugage nous le montre enfant, découvrant fasciné la magie du théâtre. Bientôt et plus longuement, nous allons voir Rakel enfant. cette fois-ci, ce n'est pas un flash-back mais elle est directement intégrée à la scène ; une Rakel enfant s'est substituée à la Rakel adulte et muette, elle assiste à l'arrivée d'une femme, Anna. Mais qui est Anna ?


Le double


L'idée du double est présente chez Bergman, à l'image de cette fameuse épingle, à la fois unique et double ; évidemment, il y a Persona qui voyait s'opérer un transfert entre Elizabeth et Alma. Dans Après la répétition, il est aussi question de double et de transfert. Reprenons l'histoire depuis le début telle que racontée par Henrik et Rakel. Une vraie mise à plat : à l'origine, il y a deux couples qui se connaissent (Henrik et sa femme / Anna et son mari) et deux filles qui naissent à deux mois d'intervalle de ces unions (L'une d'elle est Anna). Henrik a d'ailleurs été amoureux d'Anna (ce qui peut d'ailleurs un doute raisonnable : Rakel est peut-être la fille d'Henrik). Anna, devenue alcoolique, est morte depuis 6 ans - Rakel, sa fille, en garde une rancoeur tenace, vis à vis d'une mère absente. Dans la pièce qu'ils sont en train de répéter (Le songe de Strindberg), elle reprend le rôle que jouait sa mère 11 ans auparavant ; une sorte de double qui brouille encore plus le message quant à sa position vis à vis d'Henrik : à la fois fille potentielle, à la fois maitresse potentielle (malgré la différence d'âge).
Et c'est là qu'intervient la scène la plus essentielle du film, Celle qui voit Anna faire son entrée. Assise sur le canapé, Rakel redevenue enfant observe la scène et la discussion houleuse qui s'engage entre Henrik et Anna. A ce moment là, le film bascule dans un autre dimension qui n'est pas celle de l'espace et du temps de la réalité - qui nous éloigne, si le doute était encore permis, de l'idée d'un théâtre filmé - mais celle de l'imaginaire et de la mémoire psychologique. Ce que nous voyons, c'est une rêverie, un souvenir d'enfance, fantasme ou non, celui de Rakel, dans la peau de son double "enfant" qui voit sa mère ivre et délaissée essayant de re-séduire Henrik qui la repousse, scène ayant existé ou non.


Conclusion


Anna est finalement repartie, nous revenons au présent, un présent débarrassé de tout élément du passé : le décor est désormais vide, comme une page blanche qui resterait à écrire. Et c'est justement ce qui va arriver : Henrik et Rakel vont imaginer le futur, celle d'une pièce et de leurs vies qui se confond. Dans une même temporalité, le temps de projection du film équivalent à celui du déroulement du récit, Bergman a donc réussi à y intégrer le passé, le futur mais aussi la psyché des deux personnages en scène.
Une dernière interprétation est tout de même possible. Et si tout ceci n'était qu'un rêve ? Après tout, Henrik se réveille au début, après tout la pièce qui se joue s'appelle "le songe"...

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le 2 déc. 2017

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denizor

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