Dans la famille Shinoda, je demande le père

Avec son titre à résonance post-shakespearienne, ce film explore les bouleversements dans une famille après le décès (récent) du grand-père, soit le père de Ryôta Shinoda (Hiroshi Abe), un homme la trentaine qui a encore du mal à savoir ce qu’il veut vraiment dans la vie. Écrivain prometteur (son roman a obtenu un prix), Ryôta se contente de vivoter comme détective privé. Explication possible : son divorce de la charmante Kyoko (Yôko Maki), mère de son fils Shingô 11 ans. Ryôta arrive chez ses parents et trouve l’appartement désert (il ne doit pas venir souvent, car sa mère ne l’attendait pas). Il en profite pour mener une petite exploration et constate que son père a eu des besoins d’argent (même sa collection de timbres a disparu).


La météo annonce le 24è typhon de l’année (tempête physique), mais la vraie tempête sous-entendue par le titre est le divorce de Ryôta et Kyoko. Restée en bons termes avec Ryôta pour ménager Shingô (garde alternée), Kyoko a pris ses distances (Ryôta ne voit guère son fils), exaspérée par le manque de maturité de son ex-mari. Pas évident à première vue (visage peu expressif, néanmoins serein), ce défaut se traduit par des engagements non tenus (pour rendre Shingô à sa mère), divers mensonges et le fait que le père exploite son fils pour espionner sa mère. Sans compter que Ryôta se débat avec des soucis financiers récurrents (joueur - comme son père - il va jusqu’à emmener son fils à l’hippodrome) et se fait sermonner par son partenaire de travail (son patron le considérant d’un œil désabusé). Suite à un concours de circonstances, on propose un contrat à Ryôta : l’adaptation d’un roman en manga… Manque d’enthousiasme de l’écrivain !


Finalement, c’est à l’appartement familial que Kyoko consent à venir récupérer son fils, le jeune Shingô. Bien évidemment, la famille Shinoda s’y retrouve bouclée à cause du typhon. Pour Kyoko, c’est comme une conspiration (elle pose la question), car chaque membre de la famille Shinoda lui demande si son histoire avec Ryôta est bel et bien finie ? Repartir à zéro, Ryôta aimerait bien et Shingô serait particulièrement enthousiaste. D’ailleurs, toute la famille apprécie Kyoko qui se sent piégée dans cet appartement. Un appartement où, d’un mouvement de recul, Ryôta le maladroit a fendu une vitre. Événement très symbolique puisque l’attitude assez irresponsable du père a brisé quelque chose dans sa vie de couple (Kyoko finit par dire qu’elle espérait que Ryôta gagnerait en maturité avec sa paternité… Espoir déçu).


On fait son possible pour réparer ce qui est cassé, même si les choses ne seront plus jamais comme avant. Comme par hasard, l’homme appelé par la grand-mère n’est pas vitrier de métier. Pourtant, il adore ce genre de bricolage. Parallèle : Ryôta aime sa famille, pourtant ses maladresses ont conduit au divorce. Y a-t-il un moyen d’effacer cela ?


Une nouvelle fois et toujours avec sensibilité et pudeur, le réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda explore les liens familiaux et leur détérioration, en confrontant trois générations successives. Chez les Shinoda, les bouleversements se sont enchainés (comme au Japon), et le plus difficile pourrait être pour Yoshiko Shinoda (Kirin Kiki), la veuve. Au contraire, elle semble s’épanouir, liberté retrouvée Et si elle imagine son mari métamorphosé en papillon c’est avec beaucoup de désinvolture.


Dans Umi yori mo Mada Fukaku (titre original), Kore-eda dresse plusieurs portraits attachants, le plus intéressant étant finalement celui de la grand-mère qui affiche une étonnante personnalité. Ryôta n’est que le double en plus jeune de son père. Kyoko est aimée de tous mais toujours sur ses gardes, joli visage fin mais très inexpressif pour ne pas tomber dans le piège du sentimentalisme. Autre personnage qui ressort, bien que secondaire, celui de l’employeur de Ryôta. Quelqu’un qui en a vu et qui sait bien ce que vaut Ryôta.


Sans présenter un vrai grand film, Kore-eda fort de son expérience, réussit une œuvre où chacun de ses personnages existe, car il sait nourrir les presque 2 heures de projection avec quantité de détails qui s’imbriquent harmonieusement. De façon quelque peu pointilliste, avec des images où les couleurs froides dominent (voir l'affiche), il explore les situations et les personnages avec un grand naturel. Ainsi, il ménage les confrontations nécessaires à la progression de son intrigue dans un appartement, sans pour autant s’y enfermer exclusivement.


Résultat des courses ?


Un hypothétique arrêt sur image juste avant la fin pourrait laisser une impression trompeuse. Et si Ryôta s’est illustré par une certaine maladresse, à mon avis le réalisateur va dans le même sens avec son intention affichée d’explorer un questionnement assez mineur : les personnes n’allant pas au bout de leurs intentions premières (en particulier au niveau professionnel) ratent-elles leur vie ? Heureusement non, car la proportion de ceux qui se réalisent dans ce qu’ils voulaient à l’origine reste plutôt faible, sans pour autant que leur vie soit inutile. A mon avis, le vrai questionnement ici devrait être : quels sont les conséquences de nos choix dans la vie, en particulier sur notre entourage ? Illustration cruciale dans ce film avec Shingô, cet enfant que Ryôta et Kyoko ont voulu ensemble.


Film vu à Vesoul le 7 février 2017, au 23ème FICA (Festival International des Cinémas d’Asie) où j’étais invité sur proposition de SensCritique. Merci à SensCritique et à toute l’équipe du FICA !

Electron
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le 14 mars 2017

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