Aprile par Gérard Rocher La Fête de l'Art
Cette chronique de la vie du réalisateur débute lors de cette soirée du 28 mars 1994: le résultat des élections présidentielles en Italie vient de tomber. Ce soir là le triomphe est total pour "Forza Italia" et son leader Berlusconi, mais la pillule difficile à digérer pour Nanni Moretti. Celui-ci va nous immiscer au sein de sa vie jusqu'au 19 août 1997, jour de son quarante-quatrième anniversaire. Durant presque trois ans et demi, des évènements importants vont se dérouler. La droite est désavouée et battue dans l'enthousiasme populaire par la coalition de gauche. Du côté personnel, la naissance d'un bébé est attendue avec impatience et arrive dans une certaine anxiété. Sur le plan personnel, un film documentaire politique doit être réalisé et une comédie musicale est en projet, mais l'esprit est ailleurs et l'inspiration n'est pas au rendez-vous. Voici donc une période trépidante et stressante pour lui que Nanni Moretti nous fait traverser.
Qu'il est passionnant de découvrir dans un fauteuil l'analyse de la situation politique de l'Italie telle que la percevait Nanni Moretti et qu'il est drôle et stressant à la fois de regarder par le bout de la lorgnette les instants phares de sa vie privée et professionnelle. Il y a bien sûr cette réflexion sur la déliquescence de la vie politique et de la démocratie en Italie à l'époque Berlusconi avec sa main-mise sur la grande majorité des médias, et le grand désespoir du réalisateur qui, à travers un débat télévisé pris sur le vif, constate l'incapacité de la gauche à contrer son adversaire. Mais au-delà de tout cela, il y a la naissance attendue du bébé, bouleversant les pensées et la vie professionnelle du réalisateur. Une comédie musicale, son grand projet, mettant en scène les aventures d'un petit pâtissier trotskiste, reste en plan, les pensées étant ailleurs. Le documentaire sur les élections législatives de 1996 a bien du mal à être tourné, Nanni passant ses journées à la maternité où il assiste à la naissance de ce cher bébé attendu avec tant d'impatience. Puis, pour ses quarante-quatre ans, sa situation va devenir plus claire. La gauche gagne les élections, le bébé a bien grandi, il tient une grande place au sein du couple et, l'esprit libéré, Nanni va alors pouvoir s'atteler à la réalisation de sa comédie musicale qui verra enfin le jour.
Dans ce film, Nanni Moretti nous reçoit dans sa famille. Ainsi nous faisons connaissance de sa mère, de son épouse puis de son fils. Ces personnes attachantes sont les acteurs de scènes surprenantes et touchantes. C'est ainsi que nous assistons au dialogue de Nanni et de sa mère commentant, catastrophés, le résultat du scrutin de 1994. Puis il y a la critique très originale du manque de liberté de la presse symbolisée par une multitude de coupures de journaux collées les unes aux autres et ne formant plus qu'un journal sur lequel les articles et les idées sont identiques. Outre les scènes tournées à la maternité, d'ailleurs très drôles, nous dévoilant l'angoisse du futur père de famille, le réalisateur nous plonge dans la réalité de l'arrivée émouvante de clandestins albanais dans les Pouilles. Puis il nous filme avec faste la déclaration d'indépendance de la Padanie sur le Pô et à Venise et, avec une belle maîtrise artistique, une immense manifestation recouverte par les parapluies de la foule. Durant tout ce film rempli de symboles Nanni Moretti se montre tel qu'il est dans la vie. Personne n'interprète un rôle dans ce film, chacun se contentant d'évoluer le plus naturellement du monde sans décor inutile et sans fard.
Après "Journal intime", ce grand réalisateur s'est un peu plus dévoilé avec légèreté, humour et dérision. Nous ne nous en plaindrons surtout pas car nous découvrons avec beaucoup d'intérêt un homme profondément humain et plein de sensibilité. Ces deux "documents" contribuent à mieux nous faire appréhender l'ensemble de son oeuvre et notamment "La chambre du fils" qui reste pour moi un chef-d'oeuvre absolu.