"Couvrez ce braquemart que je ne saurais voir.
Par de pareils objets, les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées."
Cette citation (à un mot près) du Tartuffe de Molière m'est venue aux lèvres au sortir de ma deuxième vision d'Aquarius, au cours de laquelle j'ai pu constater que la censure française avait amputé le film, ici et là, de quelques plans jugés, semble-t-il, indécents ou immoraux, notamment dans cette scène où Clara, l'héroïne sexagénaire (mais encore assez belle) de l'histoire, reçoit chez elle un vigoureux gigolo de 25-28 ans, pour qu'il lui fasse l'amour. J'avais vu le film le premier ou deuxième jour de sa sortie en salles et on y voyait le jeune homme retirer ses chaussures, son tee-shirt, son jean et, mi-assis mi-allongé sur le canapé du living de la dame, offrir sa nudité (et une virilité considérable, bien qu'encore dormante) à ses regards, avant qu'elle ne s'assoit sur lui et qu'ils baisent de façon assez conventionnelle et décente... autant qu'un coït peut l'être. La scène durait 3-4 minutes, était quasi tendre, en tout cas n'avait rien de bestial ; un peu après, le professionnel quittait l'appartement en faisant à Clara un désinvolte coucou de la main. Je vous assure, rien de particulièrement choquant dans tout ça et... on a vu, par le passé, bien plus osé, érotique, violent et sulfureux au cinéma (il n'y a qu'à se remémorer Basic Instinct ou, récemment, le Rester vertical de Guiraudie).
En plus, le sujet du film ne peut absolument pas attirer un public adolescent, ce sont forcément des adultes qui viennent voir ce film.
Alors, pourquoi le censurer (le braquemart du jeune homme, son petit coucou de la main en guise d'adieu ont été retranchés du nouveau montage et les ébats du couple clairement raccourcis) ? Pour imiter le Brésil, où le métrage est interdit aux moins de 18 ans de façon incompréhensible, parce que le film ne comporte aucune scène de violence et assez peu de sexe (en fait, deux scènes : une scène d'orgie, mais vue de loin et fugitivement, et la scène avec le gigolo) ? Ou parce que, comme le dit Tartuffe, de pareils objets (le braquemart du gigolo convié par Clara) blessent l'âme et font venir de coupables pensées ? Ou encore par jalousie, voire peur, que de peu flatteuses comparaisons ne soient établies entre ledit objet et le sien propre ?
Quoi qu'il en soit, malgré ces quelques coupes imposées par la censure, malgré une histoire à tonalité un peu triste (quoique se déroulant à Recife, Brésil, face à l'Atlantique) et au rythme assez lent, Aquarius nous livre le magnifique, profond et lumineux portrait d'une femme blessée dans sa chair, vieillissante, mais qui ne lâche rien... superbement jouée par Sonia Braga, avec classe, charme et détermination.