Archimède le clochard est une comédie éminemment politique en ce qu’elle dénonce l’instrumentalisation des sans-abris par les puissances publiques et les classes privilégiées. Par bien des aspects, depuis la musique jusqu’à l’imagerie d’un immeuble en démolition, le long métrage ressemble au Kid de Charlie Chaplin (1921) ; mais en lieu et place de l’enfant recueilli, des chiens transportés dans un landau – ce qui occasionne une scène des plus cocasses au cours de laquelle Arsène essaie de draguer une bonne sœur ! Il faut voir la séquence de réception chez Madame Marjorie (Jacqueline Maillan) pour saisir au mieux la lutte des classes qui se rejoue ici : la pauvreté devient « pittoresque » et « drôle », le clochard amusant la galerie par ses grands airs, ses danses enivrées et sa descente d’alcool. Un des convives va même jusqu’à l’associer à Beaumarchais et à Marivaux, en qualité « d’esprit de la rue ».
Ce que les bourgeois ne comprennent toutefois pas, c’est qu’Archimède possède davantage qu’eux et que tous les travailleurs dénigrés du début à la fin : il fait de son état précaire un art de vivre libre, indépendant et authentique. Cette authenticité s’exprime par ses coups de gueule et son caractère bien trempé, qu’il oppose aux bruits d’une modernité asservie (radio, publicité…) : les dialogues de Michel Audiard trouvent là leur raison d’être. Gilles Grangier brosse le portrait d’un clochard humaniste et fidèle à ses principes, loin des représentations misérabilistes conventionnelles ; un personnage qui démasque l’hypocrisie ambiante. On ne peut que l’en féliciter et se délecter de cette comédie de destruction massive intelligente et fort bien interprétée, Jean Gabin en tête.