"Ariel" (titre dont le sens n'apparaît qu'à la fin du film) est le 2ème segment de ce qu'on a appelé la trilogie prolétarienne de Kaurismaki, après "Shadows in Paradise" et avant "La Fille aux allumettes". On retrouve les constantes de l'univers du cinéaste finlandais, avec ses personnages laconiques, qui ouvrent plus souvent la bouche pour exhaler la fumée de leur cigarette que pour parler, son style dépouillé, son empathie pour les humbles, les rôles nullement accessoires de l'alcool et de la musique, ses légers décalages (la Cadillac, qui, comme l' « Ariel », représente le rêve d'une place au soleil pour le héros). L'un des talents de Kaurismaki est de rendre attachants, et souvent même émouvants, ces personnages pourtant taiseux et dont on ne sait pas grand-chose, qui luttent avec courage pour conserver leur dignité tout en étant au stade de la survie. L'image, de plus, est superbe, que le réalisateur filme des paysages enneigés ou une grande ville la nuit.
Même si la critique sociale n'évite pas toujours la caricature (la condamnation absurde et révoltante de Taisto), le réalisateur montre habilement comment un honnête travailleur, faute de trouver légalement sa place dans la société, peut en arriver à réussir dans la criminalité. Aucun misérabilisme, aucun discours pontifiant pour autant. De manière surprenante et réussie, le film vire de la chronique sociale au film noir, avec ses passages obligés que Kaurismaki relit à sa manière : l'amitié carcérale et virile, l'évasion, la planque et la descente de police, le braquage, le règlement de compte final, le sentiment d'urgence. Cette description d'un monde hostile n'empêche pas l'humour, ainsi lors du braquage (qui restera invisible), lorsque, à l'arrivée, Mikonnen laisse tomber son arme et lorsque, à la sortie, Taisto laisse échapper une partie de l'argent et ramasse ce qu'il peut sur le trottoir !
On a envie que le personnage s'en sorte, on tremble pour lui, on est soulagé quand arrive le happy-end, qui tourne le dos aux conventions du genre, qui veulent que le braqueur sympathique échoue finalement in extremis (L'Ultime Razzia, High Sierra, Du Rififi chez les hommes,...). C'est ailleurs, dans une société qu'on espère plus favorable, que Taisto, son amoureuse et le fils de celle-ci trouveront, peut-être, leur place. Car, mine de rien, Kaurismaki, tout en étant lucide et caustique, est un optimiste, également quand il peint une histoire d'amour à la fois miraculeuse et évidente, presque fleur bleue. Une tendance à laquelle il devait tourner le dos avec son film suivant, "La Fille aux allumettes", une œuvre quant à elle sans espoir, où l'héroïne, détruite par ceux qui auraient dû l'aimer, ne faisait que précipiter sa chute quand elle se décidait à agir.