Armadillo
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Armadillo

Documentaire de Janus Metz Pedersen (2010)

Ce n'est pas un film sur l'Afghanistan, c'est l'Afghanistan. Relevant un pari insensé, Janus Metz Pedersen et son équipe ont suivi une section de soldats danois en mission dans ce pays pour 6 mois, sans aucune garantie de ce que pourrait être leur film au final. On le sent rapidement à travers de grandes ellipses, le tournage n'a pas du être passionnant tous les jours, mais ceci permet un montage des plus judicieux où la pression va aller crescendo.

Première idée de génie, faire la connaissance des soldats dans leur pays, parmi leur famille, garantit une identification plus facile. On y découvre un groupe des plus banal, comme vous et moi, avec pour seule différence qu'ils sont volontaires pour cette guerre. Les raisons sont très floues, les parents désemparés pour la plupart, ne comprennent pas me choix de leur fils, qui lui-même ne semble pas toujours savoir clairement. Un profond malaise s'installe à l'aéroport, leur joie et leur fierté de partie contrastant horriblement avec la terreur des parents.

Maintenant, il me reste à éviter l'écueil de vous décrire le film de façon linéaire en spoilant à tout va, alors changeons de forme. Comme dirait un certain chauve ventripotent, l'horreur... l'horreur a un visage. Ici cette citation prend un double sens particulièrement terrifiant.
L'horreur a un visage lorsqu'elle se dessine sur celui d'un soldat, hagard, blessé, qu'aucun acteur ne pourra jamais jouer. Lorsqu'elle se dessine sur celui d'un autre qui ne supportera pas la violence des affrontements ou l'attitude ses frères d'armes.
L'horreur prend un visage lorsque ces soldats de notre âge, se divertissant à coups de pornos et de FPS une fois rentrés de mission, prennent les combats comme un défouloir, un sport extrême apportant sa dose d'adrénaline.

Armadillo n'est pas le premier film nous démontre l'absurdité de la guerre, mais ici certains de ses rouages nous sont exposés de façon implacable. La guerre, ça se résume à une bande de jeunes soldats inexpérimentés et inconscients, qui se foutent totalement des enjeux politiques, et sont encadrés par des supérieurs revanchards et dur à cuire. Un constat terrifiant, qui ne sera que plus appuyé par les rencontres avec la population et les scènes de combat.

Un autre tour de force du film est d'éviter ce qui reste le plus casse gueule dans cette entreprise, à savoir diriger l'opinion du spectateur. Ici, certains soldats ont de bonnes raisons de venir et les meilleures intentions du monde, et certains civils sont haineux (à raison ceci dit) envers les troupes et les talibans. Les talibans eux même ne sont pas les grands méchants du film, puisque quelques élément de réponse sont apportés à leur sujet. La seule certitude, c'est que les civils sont les victimes collatérales des deux autres camps, sans cesse épiés, soupçonnés, voire tués s'ils parlent trop.

Plus le film avance, plus il paraît évident qu'il impossible, et surtout dangereux, d'avoir à gérer une telle situation avec de telles troupes. Et c'est bien là où le film va soudainement nous exploser en pleine figure tel les mines tant redoutées par les soldats, dans ses combats éprouvants. Pour reprendre ma première phrase, impossible de dire "on s'y croirait", puisqu'on y est. Comme le cameraman et les soldats dans leur première mission, notre coeur accélère à la première rafale, on sursaute à une explosion proche, on est perdu dans la folie des combats et celle des soldats qui perdent à moitié contrôle lorsqu'on leur ordonne le tir à volonté. On est avec eux en rampant à terre, en courant avec les balles qui fusent autour de nous, à couvert derrière un mur ou à l'angle d'une maison.

Et au fil des missions et de la routine du camp, on s'attache forcément à ces soldats en quête "d'aventure" (je cite), aux profils bien différents les uns des autres. On identifiera vite celui qui n'est pas à sa place, celui qui est là en quête d'action virile, ou encore juste là par curiosité. On verra le lavage de cerveau qu'on leur impose, sans qu'aucun ne s'en rende compte. On verra le cercle vicieux que représente cette guerre, on y va par curiosité, un soldat de l'unité est tué, on veut le venger, et de là naît une haine profonde pour les talibans. La guerre n'est pas entretenue par une attaque envers son propre pays, mais de l'intrusion même d'un pays dont ils ne connaissent rien et dont ils ne veulent rien connaître.

Et tout ce dont j'ai parlé jusque là, ce n'étaient que les deux premiers tiers du film. Je ne dirai absolument rien sur le dernier (même si c'est une histoire vraie, forcément), mais c'est celui qui m'a foutu par terre. Un mélange d'images qui vont vous marquer au fer rouge, de tension exacerbée et d'actes indéfinis, qui ne seront volontairement pas montrés pour conserver la neutralité du film. C'est là que la montée en puissance du film prend tout son sens, et que l'on prend une baffe monumentale. Et une fois qu'on est au fond du trou, la fin vient nous terrasser bien comme il faut.

Monumental, nécessaire, effarant, un des meilleurs films de l'année.
blazcowicz
9
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le 25 août 2012

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blazcowicz

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