Le chapitre d'une vie d'un enfant de 11 ans.

Version en article de Blog, ici : « Armageddon Time » de James Gray : la fin d’une enfance à New York à l’aube des 80’s !


L’année 2022 n’est pas tendre, pour ne pas changer, avec les films indépendants et d’auteurs de talent. Depuis la fin de l’année 2021 on remarque que de plus en plus de noms appréciés ou reconnus par la communauté cinéphile peine à attirer la foule, soit à cause de l’essor de plus en plus cannibalisant des plateformes streamings légales, soit suite aux retombées de la pandémie mondiale dû au Coronavirus, ou tout simplement comme souvent en raison des gros mastodontes qui sortent toujours au plus mauvais moment pour se faire la part du gâteau et ne laisser que des miettes.


Last Night in Soho d’Edgar Wright, West Side Story par Steven Spielberg, Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, Nightmare Alley de Guillermo Del Toro, 3000 ans à t’attendre de George Miller, Nope de Jordan Peele ou encore The Northman de Robert Eggers, à défaut d’être des parfaits, les retours commerciaux font vraiment très pâle figure et je ne cache pas mon inquiétude et mon anxiété quant à l’avenir du cinéma indépendant et des films d’auteurs sur grand écran. Surtout quand on voit certains grands noms réaliser pour le compte de plateforme comme Netflix (les frères Coen et Martin Scorsese) même pour un passage temporaire et nous priver de réalisation à la qualité plus digne d’une sortie en salle que n’importe quelle daube d'Illumination Entertainement ou une production héroïque bien merdique tel que Morbius.


Pour en revenir à James Gray, quand on a réalisé un film sur une épopée amazonienne avec The Lost City of Z en 2017, puis une épopée spatiale avec Brad Pitt dans le rôle phare avec l’injustement mésestimé Ad Astra de 2019, comment peut-on poursuivre sa carrière après cela ? James Gray, dont le cinéma transpire l’éternelle influence de la fratrie sur nos choix et sur notre destin, nous répond avec un film autobiographique prenant place dans le New-York de 1980, au sein d’une famille juive installée dans le Queens et au plus près d’un enfant de 11 ans avec ses déceptions, ses espoirs, mais aussi ses désillusions face à la dureté de la vie.


Armageddon Time, j’étais parti le voir après avoir relancé Ad Astra en Blu-Ray quelques jours avant la sortie en salle du dernier James Gray en date. Quand on passe de l’espace pour revenir à la ville New-Yorkaise, et surtout si on a été ému aux larmes devant le précédent film (ce qui fut mon cas pour mon deuxième visionnage devant Ad Astra), la meilleure chose à faire est de se préparer mentalement à quelque chose de plus modeste et de savoir peser nos attentes. Dans le meilleur des cas la bonne surprise est pas loin, et ce fut le cas ici.


La première chose qui me frappe avec Armageddon Time c’est à quel point, sans qu’on n’ait à nous le hurler à la figure, son dernier né rassemble en tout point les éléments clés du cinéma de James Gray : l’immigration avec la famille juive du jeune Paul Graff, l’influence parentale sur le parcours du ou des enfants avec la volonté de rébellion de celui-ci ou l’affection qu’il témoigne envers ses proches au sein du cercle familial, le milieu sociale ou professionnelle imposant à ses personnages de s’y conformer malgré eux, tout cela transparait très facilement dans Armageddon Time mais est mis en valeur temps par temps en nous le faisant comprendre subtilement et fluidement.


En premier lieu, par la simplicité des dialogues, et la simplicité de la mise en scène également plus modeste tout en restant sobre et également inspiré dans sa façon d’étayer les rapports des personnages. Dés la première scène au collège, quand on voit Paul et Johnny parler de tout et de rien, se remercier de leur entraide après avoir chambré un professeur coincé et peu enclin à la tolérance ou évoquer leurs artistes musicaux préférés comme les Beatles ainsi que leur collection d’autocollant de la NASA, on sait qu’on a affaire à des jeunes enfants sur le point d’entrer dans l’adolescence. Turbulents et insolents au point de se croire roi du monde, mais complices et surtout très bons camarades.


De même, quand on assiste au premier repas de famille : le brouhaha mis en image avec un éclairage tamisé, des ombres qui dominent les visages, et la photographie volontairement daté temporellement de Darius Khondji (le chef opérateur attitré de James Gray depuis The Immigrant, sauf sur Ad Astra), sans oublier la manière avec laquelle Gray passe d’un point de vue ou d’un dialogue à un autre, il immerge très rapidement dans le quotidien mouvementé de la fratrie juive ou Paul grandi, encore persuadé d’être le roi du monde.


Armageddon Time aurait pu tomber dans le piège de faire de Paul un môme antipathique turbulent, surtout quand on constate à quel point il peut être un véritable défi herculéen pour sa mère et sa fratrie et avec quelle arrogance il se montre hautain et détaché envers tout ce qui peut lui constituer une autorité (son professeur comme ses parents, en premier lieu).


Néanmoins, James Gray a su, je trouve, contrebalancer ces travers d'attitude avec deux relations clés : d’abord celle qu’il partage avec Johnny, un collégien noir à problème prêt à tout tenter pourvu que ça en vaille le coup et déjà conscient d’être discriminé pour sa couleur de peau. Et surtout son grand-père, Aaron, joué par un grand Anthony Hopkins extrêmement rattachable, savant pour choisir les mots, et qui avait déjà réussi à nous fendre le cœur en 2021 avec l’excellent The Father. On le voit facilement comme la conscience de Paul, celui qui tient plus de la présence parentale que le père de sang de Paul (plus stricte et surtout prêt à employer les méthodes de la vielle école en situation extrême), en plus d’être le pilier émotionnel de la famille.


D’autant que c’est de ces deux relations que va découler la sève même du propos d’Armageddon Time : celle du changement et d’une époque qui se termine sans qu’on ne puisse y faire quoique ce soit, ou tout simplement notre incapacité malgré nous à vouloir faire perdurer cette époque. Sur ce coup, Gray n’a pas peur d’être très brutal et très radical dans le retour de bâton qu’il impose à la fin de la première moitié de film à Paul : pris en flagrant délit pour avoir fumé de la drogue en compagnie de Johnny, et remis à sa place aussi bien par les mots sorti de la bouche de sa mère


que physiquement par son père (la brutalité et la frontalité avec laquelle est filmé la sentence physique infligée à Paul font horriblement mal psychologiquement et moralement et l’influence que ça lui laissera s’en ressentira dans la deuxième moitié)


et surtout contraint de changer totalement de cadre scolaire au point qu’il perd complètement son assurance, assurance qui était pleinement affirmée pendant la première moitié de film.


Cette fatalité et ce changement d’état d’esprit du tout au tout dans un environnement neuf ou que l’on a tenté de fuir plus d’une fois, ça ne remonte pas à hier pour James Gray, surtout quand les affaires familiales s’en mêlent, pour le meilleur comme pour le pire, que ça soit physiquement ou spirituellement, directement ou indirectement tant l’âme de la fratrie dictent très souvent le parcours des héros Grayien et ont une profonde influence dans leurs décisions, et tout l’art de Gray est de nous le faire ressentir de film en film.


Dans La Nuit nous Appartient, Robert Grusinsky finit par intégrer la police de Brooklyn après avoir failli perdre son frère et il s’investit de plus en plus dans l’enquête des forces de l’ordre jusqu’à rejoindre la police à son tour mais ça lui coûte sa relation avec sa petite amie et il perd un père avec qui il souhaitait renouer. Dans The Lost City of Z, Percy Fawcett part remplir une mission en Amazonie afin de faire oublier la mauvaise réputation de son père alcoolique mais il se prend d’une incroyable fascination pour une civilisation ancienne au point d’impliquer par la suite son propre fils tout aussi désireux de poursuivre la découverte mais on n’a pas de preuve absolue qu’ils sont en vie en fin de course et l’épouse de Percy devient quasiment veuve. Dans Ad Astra, Roy McBride devenu apathique à force de côtoyer l’espace et de fuir la douleur provoquée par l’absence de son père décidera de faire face à celui-ci tout en reconnaissant l’amour qu’il lui porte malgré tout, mais psychologiquement il arrive trop tard pour sauver Clifford McBride qui s’est laissé métaphoriquement consumé par ses obsessions.


Tandis qu’ici, dans Armageddon Time : Paul Graff souhaite devenir artiste et percer dans le dessin tout en bénéficiant de la protection qu’il pense avoir grâce au poste de sa mère au sein de son école. Mais il est victime de ses propres erreurs d’adolescent et surtout d’une éducation à la dure qui le laisse marqué pendant toute la deuxième moitié de film, et où il n’a pas vraiment mot au chapitre.


Quand on le voit dans le cadre scolaire, on le sent et on le sait incertain, déstabilisé, décalé par rapports aux valeurs affichés par l’école privé (administré par le père de Donald Trump, Fred Trump). Là encore, c’est efficacement et sobrement filmé : que ça soit la petite scène de l’entretien ou la caméra avance lentement vers le visage troublé et perturbé de Paul tentant d’expliquer dans quel état il se trouve sans trouver les mots précis, ou lorsqu’il revoit Johnny séparé par le grillage et qu’il peine à lui parler ouvertement sauf pour lui dire l’essentiel, de peur d’être jugé par les autres enfants de l’établissement voyant la scène de près.


La question est donc : pourquoi est-ce que ça marche tout particulièrement ici ? Parce que les situations traversées et vécus par Paul nous sont familière et sont traités avec beaucoup de soin et de pudeur. Mais en plus de cela, ce changement d’environnement comme cette prise de conscience face au temps qui change permet également de montrer Paul réagir différemment face aux événements puissants en gravité :


on le voit perplexe et déstabilisé face à sa mère épuisée et au bord de larmes un soir de cour, et surtout comprendre sans forcément dire un mot que quelque chose ne va pas et n’ira pas en s’arrangeant.


On le voit également prendre plus conscience du monde qui l’entoure lorsqu’il doit venir à l’hôpital pour dire adieu à un proche (je ne dirais pas)… et je ne mentirais pas en disant que j’ai failli craquer tant ça m’a rapporter à un épisode très personnel et encore récent de ma propre vie.


Tout ça pour dire qu’aussi irritant qu’ait pu être Paul, on peut difficilement ne pas être en empathie avec lui, surtout quand on voit à quel point James Gray traite maturément son propos et la transition de vie que traverse Paul.


A tel point qu’il n’a pas peur de terminer son film sur un constat très amer ou Paul ne doit sa suite de parcours qu’à un coup du destin et à la couverture de son ami, et de laisser un immense sentiment de fatalité aux spectateurs mais sans pour autant donner un sentiment complet de conclusion. Armageddon Time, c’est le dur chapitre du passage de l’enfance à l’adolescence au cours d’une vie, avec les changements qui s’accompagnent et surtout un besoin de lutte constant que l’on doit afficher si on ne veut pas se faire engloutir.


Après il y a, bien sûr, l’éternel débat de ce que James Gray a mis de personnel dedans et ce qu’il a embelli par rapport à la réalité. A sa décharge, et pour rappel, il a reconnu que Paul était nettement plus charmant et empathique que lui l’était durant son entrée dans l’adolescence. Il a également admis qu’il avait tourné sur les lieux ou il avait passé son enfance, et que l’école administré par la famille Trump l’était plus ou moins directement. Gray a eu la décence de ne se limiter qu’à une scène ou la réussite et la distinction étaient l’exemple à suivre pour devenir un modèle, donc de ne pas chercher à prendre partie ou être à charge contre qui que ce soit.


Mais pour le reste, à nous de voir si on fait confiance ou non à James Gray et à ce qu’il nous raconte. Personnellement pour avoir énormément apprécié en long et larges chacun de ses films (sauf The Immigrant, correcte mais moins prenant) et avoir même revu à la hausse Ad Astra, je choisi de lui faire confiance, et puis Gray n’est pas une personnalité toxique ou perverse contrairement à d’autres. Et c’est aussi un excellent directeur d’acteur.


Outre Anthony Hopkins dont l’aura est toujours présente, ainsi qu’Anne Hathaway vraiment très bouleversante et appliquée dans la peau d’Esther Graff que ça soit dans ses moments de colères ou ses moments de faiblesses, Banks Repeta convint en toute sincérité dans la peau du jeune collégien en mal de repère et dans ses changements d’états d’esprit, et Jaylin Webb est également bien dirigé en plus de faire bon impression à l’écran. Seul point noir, Jessica Chastain qui aurait pu être remplacée pour jouer Maryanne Trump lors de son speech puisqu'elle n'apparaît plus jamais par la suite, pour le coup c'est vraiment un immense gâchis d'acteur.


S’il ne détrône pas La Nuit nous appartient ou Ad Astra parmi mes films favoris de James Gray, Armageddon Time peut prétendre à mon top 10 de mes films préférés de cette année 2022. Je ne saurais que trop vous enjoindre à le voir en salle, en sachant pertinemment qu’il a plus de chance d’être ignoré que de convaincre en raison de son atmosphère obscure, de son ambiance très âpre à divers moments et surtout de la dureté de plusieurs scènes de vie. Tout comme n’importe quel autre film de James Gray : Armageddon Time est de ceux qui ne méritent pas, et ne doivent pas être oublié, car il apporte indéniablement un quelque chose qui en vaille la peine à tout ceux qui le découvrent et voudront le relancer par la suite.

Créée

le 10 nov. 2022

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