Cela fait deux films que j’ai lâché le cinéma de James Gray (donc je n’ai pas encore regardé The Lost City of Z et Ad Astra ; je compte me rattraper un jour, bien sûr !). Ce qui fait que je n’ai vu que des œuvres du cinéaste rattachées à New York, la ville natale du Monsieur. Cette dernière constitue à chaque fois un personnage à part entière, aussi bien dans son âme que dans sa construction physique.
Armageddon Time est en plein dans cela. Ça respire New York, ça vit New York. Les choses n’auraient pas pu être autrement étant donné que l’histoire évoque une partie de l’enfance du futur réalisateur ou, du moins, s’en inspire énormément.
Le cadre se déroule lors des semaines précédant l’élection de Ronald Reagan pour devenir le nouveau locataire de la Maison-Blanche. Ce qui symbolise, après des années moroses de honte, d’autodépréciation post-Viêtnam et post-Watergate, l’arrivée fracassante d’une Amérique triomphante et arrogante, s’apprêtant à plonger la tête la première dans l’ultralibéralisme dans tout ce qu’il peut avoir de plus démesuré, de plus indécent, de plus inhumain.
Le contexte est posé et on aura même l’occasion de croiser la route de Fred Trump (oui, le papa du type orange !) et de sa fille Maryanne (cette dernière apparaît le temps d’une courte scène, incarnée par une star dont je vous laisse la surprise de découvrir l'identité !), représentant à eux seuls ce que le capitalisme avait de plus froid et de plus cynique à New York à l'époque.
La “Grosse Pomme” du tout début des années 1980 est incarnée à la perfection par le New Jersey, la photographie aux teintes automnales de Darius Khondji la filme bien.
Contextuellement et visuellement, le film vaut le détour. Et il est intéressant de découvrir que le problème des écoles publiques pourries, avec beaucoup de diversité, et de celles privées, dans lesquelles tout est plus blanc que le Yéti pris dans une tempête de neige, ne date pas d’hier et n’est pas que franco-français.
Ouais, bref, si le reste avait été la hauteur des qualités que je viens de mentionner, l’ensemble aurait été très bon.
Le jeune protagoniste n’est pas sans rappeler l’Antoine Doinel des Quatre Cents Coups par son côté rebelle et toujours prêt à faire des conneries. Sauf qu’Antoine Doinel vit dans un environnement familial vraiment pourrave. Et sans l’excuser, il est humainement compréhensible qu’il pète un plomb. Je n’en dirai pas autant du personnage principal d’Armageddon Time. Certes, ses parents ne sont pas des modèles de perfection, mais ils aiment leur fils et en ont quelque chose à foutre de lui. On ne peut pas objectivement les classer dans la catégorie “mauvais parents”.
Bref, ce sont les Quatre Cents Coups pour ce film, les Quatre Cents Coups que j’ai eus envie de lui envoyer dans la gueule à ce petit con pendant toute la projection. Franchement, il n’a aucune raison de se comporter ainsi ou alors s’il y en a, elles ne sont pas mises en avant. Il ne manque pas une seule occasion d’être con, d’être très con, d’être le plus profondément agaçant possible. Ouais, mais c’est un être sensible qui a une fibre artistique, un talent de dessinateur dans un monde matérialiste qui ne le comprend pas… Attendez, je m’en bats les couilles. Il pourrait avoir autant de talent que Gustave Doré que je le jugerais toujours comme un être très con profondément agaçant. J’ai été incapable de m’attacher à lui un seul instant. Si James Gray a été réellement comme ça durant son enfance, il revient franchement de très loin. Cela peut donner de l’espoir à celles et ceux qui ont une progéniture très conne. A chaque fois que j’ai cru “oh, c’est bon, il a enfin compris !” (notamment après la scène dans la chambre de l'hôpital, peut-être la seule putain de fois de tout le film où il a une attitude mature !)... eh ben, non, il monte encore d’un cran dans la débilité.
Je n’ai rien contre des protagonistes antipathiques, méchants, négatifs tant qu’ils ont quelque chose de fort, de fascinant, d’intéressant. Pour l’autre, j’ai juste eu des démangeaisons de décocher des torgnoles. Le récit ne met jamais en avant des éléments qui auraient pu le rendre un minimum sympathique ou supportable, par exemple en le montrant en train d’évoluer face aux circonstances. J’ai les mains qui s’agitent rien qu’en écrivant cette critique.
Après cette manifestation peu reluisante d’agressivité dans le premier gros reproche que j’ai formulé par rapport à ce film, il y en a un deuxième tout aussi gênant, à savoir qu’il ne donne pas la possibilité aux spectateurs de réfléchir par eux-mêmes un seul instant.
L’effronté découvre, en fréquentant un camarade noir, le racisme chez les autres, implicite chez ses parents, explicite chez ses camarades de l’école privée. Eh ben, il va y avoir un beau discours du grand-père (joué par Anthony Hopkins !) qui dit haut et fort à son petit-fils que le racisme c’est pas bien puisque vous êtes trop bête pour le deviner vous-même. Merci de m’avoir prévenu, film, alors que j’étais justement en train de remplir un formulaire de candidature pour entrer dans le KKK. Tu m’as sauvé. Pffffffffffff…
Il y a une séquence (oui, la même pendant laquelle papy dit que le racisme c’est pas bien !) dans un parc durant laquelle le grand-père et le petit-fils se retrouvent une dernière fois pour s’amuser ensemble. Occulté du discours sur le racisme, cela aurait pu être un moment poignant par sa sobriété. Bon, que le personnage de la mère (et de la fille du grand-père !), interprétée par Anne Hathaway, les regarde au loin de sa voiture, je veux bien. Sa présence est justifiée du fait que son père, très gravement malade, puisse avoir besoin de soins médicaux de toute urgence. Par contre, c’était obligé de montrer son visage en pleurs pour bien faire comprendre aux spectateurs trop bêtes pour comprendre que la situation est triste ?
Et la scène finale pendant laquelle notre petit con part de son établissement scolaire pour riches alors que Fred Trump est en train d’y faire un discours, c’était utile pour faire comprendre aux spectateurs décidément toujours trop bêtes pour comprendre que le personnage principal ne voit pas l’existence de la même façon que papa Trump, que ses camarades de l’école privée, et qu’il compte suivre un autre chemin ?
Visuellement et contextuellement, ça vaut le coup. Le casting a de la gueule. Mais bordel, il y a besoin d’y aller au marteau-piqueur pour faire passer des messages ? Et ce petit con…