Je ne savais pas de quoi parlait Armageddon Time avant de le voir, je dirais même que je ne voulais rien savoir sur le film avant de m'y aventurer. C'est simple, moi je vois le nom de James Gray sur l'affiche, je fonce sans y réfléchir. La séquence d’ouverture qui nous plonge directement dans une salle de classe, est assez déroutante du fait qu'on ne sait pas trop où va le film. Ce sentiment persiste tout au long du long métrage, dont la narration est quelque peu chaotique, mais c’est le résultat d'un récit filmé du point de vue d’un enfant. Armageddon Time semble raconter des souvenirs d'enfance authentiques et même si la plupart du temps je ne savais pas trop où il voulait en venir, je l’ai quand même apprécié ... un très beau film, qui vaut surtout pour la performance des acteurs.
Il y a tant de films sur le passage à l’âge adulte qui glorifient l’époque dans laquelle ils se déroulent (généralement les années 70, 80 ou 90), avec beaucoup de nostalgie de la part du scénariste et/ou du réalisateur (ici James Gray porte la double casquette scénariste/réalisateur). Armageddon Time est l’un des rares films que je connaisse, à raconter ce genre d’histoire sans forcer sur le sentiment nostalgique et ça fait du bien un peu d'authenticité pour une fois. En effet, James Gray ne semble pas être très nostalgique de sa propre enfance.
Armageddon Time ressemble beaucoup à Presque Célèbre de Cameron Crowe. Tout comme Cameron Crowe pour son film, James Gray semble raconter des moments de sa propre enfance, à la seule différence prés qu'Armageddon Time n'est pas une vision nostalgique des années 80, bien au contraire. A la différence de Cameron Crowe, James Gray montre très clairement qu'il n’est pas très fier de lui et qu'il regrette les décisions de son passé. Il est très important de dire aussi, qu'il y a très peu de sensationnalisme dans le regard de James Gray sur cette époque.
Certains pourraient reprocher au film de promouvoir la culpabilité blanche (aka the white guilt) et oui il y a un peu de ça. Le film parle surtout des inégalités (principalement l’inégalité raciale), mais aussi des questions morales et de la poursuite du soi-disant rêve américain (aka the American dream). C’est un regard très sincère sur la vie de ce jeune garçon de 12 ans Paul (Banks Repeta), dans les années 80, alors qu’il navigue entre ses rêves, son école, sa famille et son amitié avec un jeune garçon noir. Je me suis tout de suite identifié à lui et pendant un peu moins de deux heures j'ai vraiment eu l'impression de vivre en direct le drame de sa vie.
Armageddon Time c'est James Gray qui se remémore son enfance et qui s'interroge sur le fait de grandir dans les années 80. L’intrigue peut parfois sembler aller nulle part, mais l’élément qui m'a le plus intéressé est l’amitié entre Paul et le garçon noir de sa classe, Johnny (Jaylin Webb). Il fait réaliser à Paul que même si les deux sont des fauteurs de troubles, l’un des deux sera toujours plus coupable que l'autre. Le film n’hésite pas à insister là dessus et établit également des parallèles entre le républicanisme rampant de l’ère Reagan et la politique du présent, avec même une scène avec Fred et Maryanne Trump (John Diehl et Jessica Chastain). Ces deux-là prêchent que tout le succès que vous avez dans la vie est dû au travail acharné et à la détermination, et que la solidarité est dénuée de sens. En même temps, nous voyons des exemples clairs dans ce film, que les blancs tirent parti de leur pouvoir et de leur richesse, pour s’assurer de conserver un avantage sur les autres (sous entendu les noirs). Ce film est en effet un démantèlement du privilège blanc et il est assez direct et accablant, sans trop forcer le trait ... James Gray frappe juste sur ce coup.
Armageddon Time peut parfois sembler être brouillon et ennuyeux, un peu comme les enfants, mais le film vous permet de vous identifier à eux et de ressentir leurs émotions. Il y a quelques scènes très inconfortables et une sensation de malaise constante après le premier acte (la première heure du film). Nous ne faisons qu’assister à la vie d’une famille, donc il n’y a pas de grande histoire et la narration semble manquer d'un film conducteur, mais c'est parce que la vie n’est pas toujours linéaire et ne suit pas toujours un chemin tout tracé. C'est je pense, ce qui va en rebuter plus d'un parmi vous.
Tous les personnages sont complexes et ambigus (ni tout blanc ni tout noir) et bien qu’une grande partie du mérite doive aller à l’écriture, c’est le jeu d’acteur qui impressionne le plus. Banks Repeta est incroyable dans le rôle du jeune Paul. Il me rappelle un peu la performance d'Ellar Coltrane dans Boyhood de Richard Linklater. C'est le choix d'un enfant acteur qui semble jouer son propre rôle dans le film, qui n’est peut-être pas le mieux formé, mais qui est crédible en tant qu’enfant "inadapté". Ainsi, les dialogues et à la performance d'acteur semblent être authentiques, dans la façon dont les jeunes de cet âge se comportent et communiquent entre eux.
Anne Hathaway est très touchante dans le rôle de la mère, mais je trouve qu'elle est vraiment trop en retrait par rapport aux autres membres de la famille. En tout cas, elle confirme que c'est une très bonne actrice, chose qu'on savait déjà. Il en va de même pour Anthony Hopkins dans le rôle du grand-père, mais lui au moins son rôle est beaucoup plus développé. On a toujours l’impression qu’il pourrait délivrer sa performance dans son sommeil, tellement ça lui semble être facile !
Mais celui qui m’a vraiment le plus surpris (probablement parce que je ne l'avais vu nulle part auparavant), c'est Jeremy Strong dans le rôle du père. Il apparaît d’abord comme un père sévère et émotionnellement distant, mais plus on avance dans le film, plus il y a de scènes où les émotions commencent à traverser les mailles du filet. Il y a une scène particulièrement amusante dans laquelle il danse et chante pour essayer de réveiller ses enfants. Il y a aussi cet échange entre le père et le fils, le fils lui disant "Tu veux que je sois comme toi", ce à quoi le père lui répond "Non, je veux que tu sois meilleur que moi"
Tous les personnages sont très intéressants, mais il y a des moments où j’aurais aimé que le scénario explore un peu plus la dynamique père-fils et les différentes relations familiales. Par exemple, la relation privilégiée entre Jeremy Strong le père et Anthony Hopkins le grand-père est à peine évoquée et jamais montrée. Et puis le film manque sérieusement d’élan et de substance par moments. Il n’y a pas vraiment de ligne conductrice dans l'histoire, juste des petites intrigues secondaires qui commencent et se terminent au cours du film. Le manque de rythme et de progrès tangibles, rendent la conclusion de l’histoire un peu creuse et vide, mais le voyage en lui-même est rempli de petits moments gratifiants et de scènes puissantes qui rendent l’expérience globale plus que satisfaisante.
J’hésite à le recommander, car Armageddon Time n’est clairement pas un film pour tout le monde, mais de mon point de vue c'est un très beau film et les performances d'acteurs valent à elles seules que vous vous y intéressiez. L’histoire ne va pas vous renverser, mais je m’en souviendrai longtemps pour les émotions que j'ai ressenti.