Je vais peut-être me faire lyncher en disant ça, mais tant pis ; mes Ghibli préférés ne sont pas réalisés par Miyazaki.
(esquive les tomates pourries)
Attention, je ne dénigre pas, bien au contraire, le travail de monsieur Hayao, qui est objectivement un maître, si ce n'est LE maître, de l'animation, toute origine confondue. Cependant, les oeuvres de Hayao sont parfois un poil trop complexes, et certaines méritent plusieurs visionnages afin de comprendre toute la trame narrative et l'univers (je pense à Chihiro, Mononoke, Le Chateau dans le ciel, Le Chateau Ambulant...). Certaines encore ont une trame beaucoup plus "simple", mais semblent alors beaucoup moins profondes, trop destinées à un jeune public (Totoro, Ponyo) pour que je puisse y discerner la mélancolie qui me fait frémir.
Je connais mal encore le travail de Takahata (je n'ai vu pour l'instant que les Yamada et Pompoko), cependant je trouve son travail beaucoup trop terre-à-terre, manquant d'une force poétique. Donc mes Ghibli préférés ne viennent pas de lui non plus.
Alors, de qui ? Rassurez vous, pas de Goro Miyazaki mais de Yoshifumi Kondo, réalisateur de Si tu tend l'oreille, et Yonebayashi Hiromasa (à vos souhaits), réalisateur du film qui nous concerne dans cette critique ; Arrietty, le petit monde des chapardeurs.
Les deux films présentent tous deux un ancrage dans un quotidien sublimé par des touches de fantaisies, et une trame à la fois simple et universelle. Si tu tends l'oreille est une histoire d'amour adolescent, jalonné de questions existentielles ("que faire de ma vie ?" "où est ma place ?" "est-ce bien de mener sa vie selon ses rêves ?"). Arrietty, c'est une famille qui vit dans la galère mais aussi dans la joie, avec une héroïne qui a des rêves et des envies de découvrir le monde, et qui se liera d'amitié, voire d'amour platonique, avec un garçon de son âge.
Cependant il fallait une touche d'originalité pour un scénario aussi simple, et ici elle provient du monde dans lequel Arrietty, notre héroïne, évolue ; elle ne doit pas être plus grande qu'une souris et voit donc notre monde, représenté ici par une vieille maison de campagne, comme un immense univers où ceux de son espèce (c'est-à-dire sa famille, car ils pensent être les derniers de leur espèce) chapardent quelques bricoles aux humains pour survivre, se cachant d'eux car la race humaine ne leur inspire pas confiance.
On vivra alors une aventure, petite à notre échelle, mais immense aux yeux d'Arrietty, qui bouleversera sa vie ainsi que celle de sa famille. Le garçon de son âge, Shô, est un humain qui va vouloir se rapprocher d'elle, et leur amitié va conduire à des péripéties qui auront comme enjeu de sauver la tranquillité de la vie de famille des Chapardeurs. L'histoire est donc ponctuée de petites touches d'aventures, d'amitié et de complicité, de joie et de moments beaucoup plus mélancoliques. Les personnages sont tous très attachants dans leur détermination et leur naïveté (sauf la gouvernante, qui mettra en péril la vie des Chapardeurs, foncièrement méchante du coup), et on se plait le long du film à s'imaginer en Chapardeur, car au fond ces petits humains ont compris sans doute mieux que les grands l'essentiel de la vie.
Evidemment, le visuel du film n'est pas en reste ; je me demande d'ailleurs si les mots sont assez forts pour décrire cette poésie bucolique qui éclate sur l'écran. La nature est clairement mise en avant, avec un immense jardin très coloré, très vert, de grandes fleurs multicolores un peu partout, des lierres, des cailloux, des insectes, une pluie aux rondes gouttes grises comme des perles et un magnifique ciel ensoleillé. On retrouve aussi des plantes dans la maison de la famille d'Arrietty, se mêlant au bric à brac foisonnant des objets volés ou fabriqués de leurs petites mains. Enfin, la maison où vit Shô, et où les Chapardeurs viennent la nuit, est une maison de campagne très occidentale, avec des boiseries, des escaliers, de la tapisserie et des meubles très imposants, et des bibelots là aussi un peu partout (mon dieu, cette maison de poupée). C'est, vous l'aurez compris, d'une richesse visuelle étonnante, qui peut aisément faire passer Mononoke comme un film pauvre en décors en comparaison. Presque chaque instant du film peut-être screené et mis en fond d'écran de votre ordinateur sans problème ; je crois que même Chihiro, Ponyo ou le Château Ambulant ne parviennent pas à une telle profusion de détails, qu'ils soient fantaisistes ou ancrés dans le quotidien.
En dernier point il faut évidemment souligner la BO, composée par Cécile Corbel, une harpiste celtique. Si vous ne connaissez pas l'histoire d'un tel choix musical, je vous invite à regarder sur le net, c'est une belle histoire. Les musiques du film sont surtout jouées à la harpe, un instrument qui sied à merveille à l'univers enchanteur d'Arrietty, avec ces notes cristallines. Peut-être plus encore que la fin, les personnages ou le décor, les musiques m'ont hantée bien après le visionnage car elles ont su, avec force, faire vibrer la corde sensible de mes émotions. (je mets quiconque au défi d'écouter "Sho's Lament" et de rester indifférent à sa triste mélodie)
Pour finir, certains me diront qu'ils ont trouvé le film trop simple ou enfantin, mais je leur répondrai que la simplicité et l'apparente naïveté d'Arrietty fait justement de lui un film très poétique, qui nous invite au rêve, à l'émerveillement. Et là où Yonebayashi est très fort (ou Miyazaki, car ce dernier a quand même bien surpervisé le film), c'est qu'il a su insuffler une touche mélancolique à travers les réflexions ou la solitude initiale de nos deux héros, ce qui fait que nos personnages sont beaucoup plus profonds que de simples enfants ; le film mêle donc les rêves, la solitude, l'amitié, la joie et la contemplation de la nature, et dès lors saura toucher quiconque de réceptif sur ces grands thèmes de la vie. Ce film d'animation, c'est une ode à ce que la vie a de plus beau, de plus pur, de plus poétique, comme le souffle du vent dans un jardin fleuri au printemps.