La cohabitation difficile et les confrontations entre urbains et ruraux sont depuis toujours une source d'inspiration pour le cinéma du registre de la comédie jusqu'à celui de l'horreur en passant par à peut près toutes les genres possibles. Avec As Bestas librement inspiré d'une histoire vraie déjà adapté sous le format d'un documentaire intitulé Santoalla en 2016 , le réalisateur Rodrigo Sorogoyen plonge un couple de français dans la rigueur de la campagne Galicienne pour un film entre drame et thriller à la tension paradoxalement étouffante pour un retour au grand air et à la la nature .


As Bestas nous raconte donc l'histoire de Antoine et Olga (Bruno Ménochet et Marina Foïs), un couple de français venu s'installer dans un petit village de Galice afin d'y vivre de maraîchage bio tout en tentant de reconstruire d'ancienne maison délabrées afin d'offrir à l'endroit de nouvelles perspectives. Mais le couple se heurte à l'hostilité de leurs voisins, deux frères qui aimeraient vendre les terres pour qu'elle deviennent des champs d'éoliennes contre l'avis d'Antoine dont la voix contestataire empêche le projet d'aboutir.


Lorsque que l'on souhaite que l'antagonisme soit fort et que l'opposition soit radicale il est facile de tomber dans une forme de caricature en prenant le parti de charger l'un ou l'autre des deux camps en présence. La première force de As Bestas est précisément d'éviter la caricature d'une opposition entre des citadins arrogants, suffisants et méprisants faisant face à des bouseux débiles, sangunaires et dégénérés. Et même si au final dans l'esprit des différents protagonistes qui se retrouvent pousser à bout par un lent jeu de tension c'est un peu l'image qu'ils finiront par avoir les uns des autres, l'écriture de Rodrigo Sorogoyen et Isabel Peña est bien plus subtil qu'une simple confrontation entre gentils et méchants. Toute la violence et la tension tient surtout dans une réalité paradoxale à géométrie variable entre des gens ayant connus toute une vie de misère rigoureuse et qui souhaitent un avenir qu'ils imaginent meilleur et des gens qui débarquent tout frais pleins de beaux idéaux pour leur expliquer qu'ils vivent dans un environnement formidable. Et si le couple que forme Olga et Antoine est plutôt discret, aimable et même ouvert aux autres il ne fait que rappeler par son approche scientifique, ses idéaux bobos écolos et sa vision idéaliste de la terre et la nature que même voisins sur une même terre on peut très bien ne pas tout à fait vivre dans le même monde. Quant aux deux frères ils portent en eux tous les stigmates d'une vie entière de ruralité sans le moindre espoir avec toute la dureté, la violence, la misère et la solitude qui vont avec. Même si il sera difficile de vraiment prendre parti pour ses deux hommes rustres et rigides dans leurs visions du monde, leurs discours et leurs préoccupations restent audibles et défendables. Alors fatalement lorsque des idéalistes viennent retrouver goût à l'existence précisément à l'endroit ou eux ont perdus tout espoir, la confrontation ne pourra être que intense et d'autant plus violente que ce refus d'un parc éolien et du dédommagement financier qui va avec marque clairement pour ses ruraux l'emprise de citadins, étrangers qui les empêchent de survivre pour que eux puissent vivre un pseudo-rêve qui n'a rien à voir avec leur réalité. Les enjeux et les motivations des différents protagonistes sont donc riches, complexes et recevables pour les différents point de vues.


Sur cette riche base d'enjeux et de confrontations, Rodrigo Sorogoyen va donc pouvoir construire un thriller étouffant qui va se construire par petites touches de pressions verbales et psychologiques jusqu'à l'irréparable. D'humiliations en vexations, de mots malheureux en phrases assassines, de plaisanteries en acte délictueux, de gestes déplacés en menaces, de confrontations en affrontement la lente maturation de la tension devient vite irrespirable tant la violence physique semble devenir au fil du temps la dernière manifestation symptomatique possible de ceux qui n'ont plus rien à se dire. A ce titre la longue et ultime tentative d'explication verbale entre Antoine et les deux frères autour d'une bouteille est un modèle de tension dramatique tant nous savons en tant que spectateur qu'elle ressemble à l'ultime médiation avant l'explosion aussi inévitable que irréparable de la violence physique. As Bestas est riche en tension et en scènes fortes comme lorsque le couple se retrouve bloqué sur la route en pleine nuit par deux hommes menaçants. Après avoir atteint son paroxysme et une ellipse narrative d'un an la tension du thriller retombe un peu mais laisse la place à une tension psychologique et dramatique pas moins intense et puissante. La longue confrontation verbale entre Olga et sa fille qui se lancent leurs quatre vérités à la figure est d'autant plus bouleversante qu'elle montre à quel point les cicatrices des événements passés se sont profondément ancrés dans l'intimité des protagonistes au point que la femme d'Antoine se retrouve enracinée par les souvenirs dans cette terre comme si d'un coup elle l'avait vue naître à sa condition de femme.


Pour célébrer As Bestas comme il se doit il faut bien sûr saluer la formidable performance des différents acteurs et actrices du film à commencer par l'imposant Denis Menochet dans le rôle d'Antoine. A la fois déterminé à ne pas se laisser faire et totalement impuissant à raisonner ses antagonistes, le comédien à l'imposante stature pleine de bonhomie ne parviendra jamais à s'imposer physiquement ni cordialement auprès de ses rivaux. Par ses choix de cadres et de mise en scène, Rodrigo Sorogoyen isolera de plus en plus le personnage qui finira même par sembler perdu et apeuré dans un cadre inhospitalier qui le dépasse totalement. Presque en retrait durant la première partie du film Marina Foïs dans le rôle de Olga prendra une nouvelle dimension dans un dernier acte qui tourne tout entier autour de sa froide détermination. Solaire et souriante dans la première partie, la comédienne les traits creusés comme les sillons de la terre devient plus rude et froide qu'un inébranlable bloc de granite dans la seconde moitié du film. Déjà évoqué plus haut dans cette critique son intense face à face avec sa fille interprétée par Marie Colomb est un très grand moment de tension et d'émotion. Et puis il faut aussi saluer l’excellente prestation de Luis Zahera dans le rôle de Xan, un personnage dont on ne sait jamais si l'on doit le détester ou le plaindre mais qui demeure terriblement inquiétant de bout en bout. Un peu plus en retrait comme sous la domination de son frère, Diego Anido dans le rôle de Lorenzo incarne un peu l'idiot utile du conflit toujours prompt à agir sans raisons ni compassion.


Même si sa brutale rupture de ton et son ellipse temporelle laisse un temps le spectateur un peu perdu, As Bestas est un très grand thriller qui sait capter l'attention et la tension pour ne plus la relâcher avant le mot fin. Et si dans la seconde partie on tremblera un peu moins, on sera tout autant cueilli par l'émotion et la violence psychologique qui se dégage de certaines scènes.

freddyK
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le 28 nov. 2022

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