Avec Assassin(s) Mathieu Kassovitz réalise certainement l'un des films les plus symptomatiques de la société française des années 90, poursuivant les expérimentations techniques déjà abordées dans son chef d'oeuvre La Haine deux ans auparavant. Moins film de genre que véritable film à thèse Assassin(s) reste probablement LE film injustement vilipendé de la carrière de Kasso : souvent incompris et fort peu reconnu ( aussi bien par le public que par la profession ) ce troisième long métrage fut le fruit d'une carte blanche accordée à son auteur-acteur-réalisateur, ce dernier ayant pour le coup multiplié les moyens mis à sa disposition...
Rarement un grand film aura frôlé de si près la catastrophe artistique, tant les qualités d'Assassin(s) en constituent également les défauts principaux. Certainement dépassé par ses propres ambitions et son discours à la fois pertinent et hasardeux Mathieu Kassovitz déploie son récit de manière un brin laborieuse, en parvenant dans le même temps à jouer de façon audacieuse sur la narration : elliptique, utilement sonore, formé de longs plans situationnels le découpage du film reste tout sauf traité par-dessus la jambe ; en nous plongeant dans le quotidien apathique du jeune désoeuvré Maximilien Pujol Kasso prend le temps de montrer l'anesthésie généralisée chez tout un pan de la société contemporaine, endormie par les programmes et la publicité incessante du petit écran.
C'est bel et bien l'opium du peuple hexagonal qui se voit placé sur la sellette par Mathieu Kassovitz : la télévision. Presque de toutes les scènes, affichant une consommation tour à tour abrutissante et vulgaire, en parfait décalage avec le réalisme froid des intérieurs filmés la télévision est magistralement utilisée par le cinéaste français, participant totalement au regard, au propos et à la mise en scène. Assassin(s) ne pointe rien de moins que cette culture-zapping notoire d'une jeunesse en manque de savoir-faire, trop occupée à "attendre qu'il se passe quelque chose", à défaut d'en vouloir...
Mais de fait rien ne se passe au coeur de la misère existentielle dudit film, à peine la mécanique implacable d'un artisan chevronné nommé Monsieur Wagner ( Michel Serrault, comme toujours excellent ) qui tentera de former le jeune Max au métier d'assassin... Mathieu Kassovitz appuie peut-être un peu trop lourdement le propos, au risque de sembler parfois didactique et démonstratif, puéril même. Et pourtant les trouvailles techniques, les nombreuses références et la lucidité salutaire que porte le réalisateur sur la jeunesse de son époque font de cet Assassin(s) un film qui, s'il n'a rien de forcément aimable ni même d'attrayant, se révèle tout à fait passionnant et intelligent. A voir absolument.