Troisième long métrage de Billy Wilder, le second à Hollywood, Raymond Chandler au scénario, Double Indemnity intrigue dès le générique, posé sur un lent zoom vers une silhouette boiteuse à la jambe cassée, et son ouverture sur Walter Neff, blessé à l’épaule, qui rejoint son bureau sombre dans un cabinet d’assurance déserté à cette heure de la nuit, clope au bec, et commence d’enregistrer sa confession, promet
un intriguant film noir.
L’intrigue est là. Dévoilée du nécessaire en son temps.
Walter Neff et la femme d’un de ses clients élaborent une fraude à l’assurance vie, le plan machiavélique parfait. Mais quand il s’agit de débloquer les fonds promis, Barton Keyes, l’enquêteur de l’assurance laisse son instinct le travailler.
Il y a sur le papier, et dans le scénario, la mécanique froide d’un polar passionnant. Pas dans le film.
C’est long, c’est lent, ça papote. L’angoisse n’est jamais oppressante tant tout est dédié dans un mépris du rythme aux explications et aux altermoiements. Suite de séquences posées, sans mouvement, instants figés comme autant de petits passages obligatoires du puzzle, reliés par une ambiance générale, mais sans couleur, sans relief, sans autre saveur que l’ennui.
Les comédiens n’y sont pas. Fred MacMurray a de ces moues artificielles qui l’éloignent du moment, soufflent en un soupir l’intensité dramatique de sentences qui n’ont plus de corps. Barbara Stanwyck a de beaux grands yeux et une fort belle coupe de caniche blond, joue les femmes amoureuses et les femmes martyrs dans le même air, et ne convainc pas dans le rôle de grande manipulatrice qui lui échoue. Seul Edward G. Robinson donne de la saveur, de l’humain, un souffle d’authentique sur la pellicule. Mais le rôle secondaire ne pèse pas suffisamment dans cette romance noire où les deux tranchants sont aussi lâches.
Le choix de la confession qui occupe de sa voix-off une bonne partie du film renforce
l’absence de rythme,
calqué à ce souffle des mots. La narration d’un suspense aurait exigé de la distance quant à ce rappel littéraire. Le film noir devient un objet d’une facture classique tendance lourde : la forme assise d’évidences empruntée aux meilleurs suspense d’Alfred Hitchcock manque ici des respirations ou des étouffements qui créent répit et tension, pour n’être que froid décryptage des plis dissimulés dans le mécanisme de l’arnaque.
Pas même les mécanismes de l’homme.
Là où Billy Wilder plus tard saura manier sans aplat grossier les ficelles muettes qui racontent les comportements, il insiste ici sur la narration et néglige les nuances de l’âme humaine en filmant les clichés exagérés, les contrastes improbables, le jeu non concerné des protagonistes.
Il faut tout de même reconnaitre, dans cette facture classique, une très belle photographie, une idée de départ solide et complexe, idéale pour l’ambiance, une mise en scène (trop) sobre et une musique discrète et efficace.
Pas suffisant pour que je m’emballe. Avec plus de propos et de réflexion sur l’humain, le prochain film de Billy Wilder offrira un premier pas dans la solidité d’une œuvre à venir, malgré l’exercice réussi là où les producteurs l’exigeaient, Double Indemnity a vieilli, et cette absence de propos identifiable au-delà de l’arnaque, aujourd’hui,
la peine c’est presque double ennui.