Thierry Frémaux avait annoncé une sélection « politique et romantique » à laquelle répond parfaitement ce premier long métrage de fiction par Mati Diop. Dans un Dakar qui joue les grandes en dressant ses buildings vers le ciel, la misère de ceux qui les édifient et restent au sol les poussent à vouloir prendre la mer, attirés par cette dévorante promesse d’un continent où la vie serait moins difficile.
Les thèmes sont donc d’actualité, et la mise en fiction assez convenue de prime abord : un couple de jeune, l’envie terrible de l’aventure Européenne pour lui, et le danger de cette migration clandestine dont l’Europe parle tellement lorsqu’elle arrive sur ses côtes.
Mais Mati Diop n’a pas simplement choisi une question géopolitique brûlante : son récit prend racine du côté africain, celui du départ, et sera donc un conte sénégalais où le fantastique se mêle au quotidien et où les morts côtoient les vivants. A la faveur d’une enquête mystérieuse (un lit incendié lors de noces arrangées), un flic régulièrement pris de violents malaises va investir la vie de cette jeune fille privée de son homme parti au large, et mettre au jour ce déchirement qui broie une jeunesse privée de tout avenir sur sa terre natale.
Atlantique révèle à de nombreuses reprises que c’est un premier film : des redondances dans les motifs, une musique un peu envahissante, une exposition un brin mécanique et un jeu qui manque parfois d’incarnation. Et un Grand Prix au palmarès qui vaut sans doute davantage pour sa résonance politique que sa valeur artistique. Mais il est aussi important de ne pas le lire à l’aune de nos canons européens en termes de cinéphilie, et de l’appréhender dans toute l’authenticité de sa propre expression. En dépit de ces maladresses, il parvient à restituer une belle atmosphère nocturne, une certaine épaisseur à ses parties fantastiques dont l’objet n’est pas de susciter l’effroi et l’étrangeté, mais d’ouvrir les portes sur une dimension invisible qui, selon les croyances locales, ne demanderait qu’à être acceptée.
La métaphore devient intéressante si on la reporte à la manière dont le monde occidental considère justement la question migratoire, se bornant à des statistiques et des inquiétudes d’ordre économique pour dénier à ces déracinés le statut d’individus. La manière dont les invisibles, les ensevelis resurgissent pour demander des comptes et retrouver une incarnation, au sens propre du terme dans l’ultime étreinte, répond à ce silence indifférent. (Se dessinent d’ailleurs ici de nombreux parallèles entre ce film et celui de Bonello, Zombi Child). Ou comment, dans un monde uniformément sous le règne du profit par l’exploitation des individus et des ressources, construire une ébauche de sens qui puisse dresser un portrait singulier, dans un pays fier et aux traditions ancestrales.
(6,5/10)