Au boulot !
6.8
Au boulot !

Documentaire de Gilles Perret et François Ruffin (2024)

Je n'avais pas beaucoup aimé "J'veux du soleil", qui tournait autour de son sujet, et si j'avais de l'estime pour "Debout les femmes", je ne le mettais pas au même niveau que la claque qu'avait été "Merci patron", une véritable bombe.


On retrouve ici l'énergie joyeuse et explosive de Merci patron. Et Dieu sait que dans le contexte mortifère dans lequel nous vivons (pas besoin d'un dessin hein), Au boulot ! est bienvenu.


Comme toujours, c'est un braquage. Une manoeuvre de goupil. Invité aux Grandes Gueules, Ruffin se retrouve face à Sarah Saldmann, une avocate d'affaire blonde qui passe son temps à surjouer un personnage de cruella de droite qui parle des feignasses et des assistés. Et Ruffin lance une invitation, de vivre un mois au SMIC. Saldmann signe pour une semaine.


Comme dans les contes de fée, on voit donc une princesse de la grande bourgeoisie côtoyer un livreur Amazon, une serveuse de restaurant, des ouvriers qui conditionnent le poisson à la chaîne, un agriculteur, l'équipe féminine de foot de Flixecourt, une auxiliaire de vie de Saint-Etienne, des poseurs de câble de Grigny, des travailleurs sociaux (Secours populaire, territoire zéro chômeur). Avec sa queue de cheval tirée à quatre épingles, ses talons hauts et ses préjugés, la jeune amazone arrive. Et encaisse. Prend en pleine face la dureté du travail physique. En rabat de sa véhémence.


Contraste éloquent lorsqu'elle revient dans une soirée chez Maxim's (ou je ne sais plus où), où tout le monde est en robe de soirée à plusieurs dizaines de milliers d'euros, et où elle se sent rassurée d'être dans son milieu d'origine.


Roublardise de Ruffin, qui ne cherche pas forcément à être un démiurge, savoure (un peu petitement) de se faire servir par une chroniqueuse de Cnews, prétend vouloir faire "la réinsertion des riches", invite la donzelle dans sa fameuse cuisine rouge et blanc, mais ne se fait aucune illusion quant au résultat final. Et comme à la fin de Debout les femmes, retombe sur ses pieds par une pirouette carnavalesque.

D'aucuns à sa droite parleront de misérabilisme, de voyeurisme. D'autres, à gauche, avec beaucoup d'arrière-pensée, souligneront une limite : on ne montre jamais vraiment des personnes complètement désocialisées. Ruffin a choisi de faire de compagnons d'une journée de Saldmann une galerie de smicards attachants qui galèrent, bataillent avec des rêves dérisoires et inaccessibles. Ruffin, comme à son habitude, rétorquera (à raison) que ce sont ces gueules qui sont les véritables stars du film.


Mais l'important, c'est d'avoir réussi à crever un bref instant ce cytoplasme qui laisse les smicards d'un côté de la paroi et les heureux du monde de l'autre. Aucun des deux côtés, du fait des pesanteurs sociales, n'était destiné à sortir de son bocal. Et cette membrane, le film réussit à la crever, tentant dérisoirement de refaire pays.


C'est un film terriblement drôle mais aussi émouvant, tous ceux qui l'ont vu vous le diront. Je le recommande, c'est une bouffée d'air frais.


Nous en avons besoin. Ne boudons pas notre plaisir.

zardoz6704
8
Écrit par

Créée

le 9 nov. 2024

Modifiée

il y a 5 jours

Critique lue 6 fois

zardoz6704

Écrit par

Critique lue 6 fois

D'autres avis sur Au boulot !

Au boulot !
Charles_Dubois
7

"On prend sur soi."

Il y a au départ la petite histoire qui donne son origine cocasse au film : la rencontre, tumultueuse pour le moins, de François Ruffin avec Sarah Saldmann, chroniqueuse sans grande finesse du...

le 2 oct. 2024

17 j'aime

Au boulot !
Spectateur-Lambda
6

Vu en avant première

On va tout de suite évacuer un truc, je suis une indécrottable gauchiasse et plus je vois l'état de notre société, plus j'affirme ma position politique et plus je trouve la droite dangereuse et...

le 5 nov. 2024

8 j'aime

1

Au boulot !
Zolo31
7

Au boulot les Feignasses !

Au boulot! est à double sens, C'est un extrait d'une phrase choquante d'une avocate starlette de l'émission les Grandes Gueules de RMC, à propos des travailleurs qui se mettraient trop souvent en...

le 5 nov. 2024

6 j'aime

Du même critique

Orange mécanique
zardoz6704
5

Tout ou rien...

C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...

le 6 sept. 2013

56 j'aime

10

Black Hole : Intégrale
zardoz6704
5

C'est beau, c'est très pensé, mais...

Milieu des années 1970 dans la banlieue de Seattle. Un mal qui se transmet par les relations sexuelles gagne les jeunes, mais c'est un sujet tabou. Il fait naître des difformités diverses et...

le 24 nov. 2013

43 j'aime

6

Crossed
zardoz6704
5

Fatigant...

"Crossed" est une chronique péchue, au montage saccadé, dans laquelle Karim Debbache, un vidéaste professionnel et sympa, parle à toute vitesse de films qui ont trait au jeu vidéo. Cette chronique a...

le 4 mai 2014

42 j'aime

60