Autant Ron Howard me laisse en général indifférent et est capable de pondre des trucs vraiment ignobles (au choix: The Grinch, Da Vinci Code...) autant il s'avère un très bon artisan quand il a un projet qui lui correspond entre les mains. Cinéaste purement américain (dans le bon sens parfois), magnifiant le working class hero d'une bien belle façon quand il le veut (revoir les séquences d'action de Backdraft et se prendre une gifle à l'heure où les productions sont de plus en plus contrôlées), il devait forcément se pencher un jour où l'autre sur le livre de Nathaniel Philbrick, narrant le naufrage du baleinier Essex qui aura inspiré à Herman Melville son mythique Moby Dick.
Mais là où la promotion du film (qui sera malheureusement un échec), nous promettait une traque obsessionnelle dans la droite lignée du classique littéraire cité plus haut, In the Heart of the Sea s'avère bien différent, au point de décevoir une grande partie de son audience. En effet, si l'on retrouve un univers proche du roman de Melville, ainsi que son lot de séquences spectaculaires, le film de Ron Howard s'intéresse avant tout à la survie de l'équipage, et notamment à la rivalité opposant ses deux têtes pensantes.
Bien que montré dans toute sa puissance destructrice et iconisé avec un réel talent (prends-toi ça dans les dents, Jurassic World), le monstre marin n'est ainsi non pas le moteur du film, mais bien son élément déclencheur, le catalyseur d'une lutte bien plus humaine et intérieure. Les hommes ne sont pas des chasseurs rendus fous par la vengeance, mais tout simplement des gars faisant un sale boulot pour nourrir leur famille. En témoigne cette superbe séquence illustrant une victoire bien amère, une baleine agonisante expulsant un mélange d'eau et de sang sur des visages n'ayant clairement pas le coeur à se réjouir.
Pur film d'hommes avant d'être un film de monstre, In the Heart of the Sea étonne également par la nervosité de sa mise en scène, loin de l'académisme ronflant redouté. Resserrant le cadre (d'où l'absence de scope), Howard colle au plus près de ses diables d'hommes, tout en offrant des images d'une beauté incandescente, renforcée par une photographie il est vraie particulière (mais donnant à l'ensemble un véritable aspect de conte au coin du feu) et par une utilisation intelligente de la 3D.
Dommage dès lors que le film souffre d'une narration un brin parasitée par l'envie de revenir sur la genèse de Moby Dick, ainsi que d'une durée trop courte, le rythme filant à toute vitesse mais amoindrissant le calvaire des personnages et survolant un peu trop les enjeux. Les seconds rôles sont à ce sujet légèrement sous-exploités, ce qui est quand même dommageable quand il réunit des acteurs de talent comme Cillian Murphy, Paul Anderson ou Benjamin Walker. Reste que Chris Hemsworth en impose sacrément, composant un leader crédible et nuancé.
Plus proches de ses baleiniers que de l'océan, osant même un anti-climax certes frustrant mais cohérent dans sa démarche, In the Heart of the Sea n'est peut-être pas le film de l'année mais constitue un divertissement d'une noblesse qui fait cruellement défaut actuellement. Dénué de cynisme, spectaculaire, bien foutu (hormis deux ou trois incrustations), classique dans le bon sens du terme, il ne mérite clairement pas l'indifférence avec laquelle il a été accueilli.