Deux ans après l'excellentissime Rush, Ron Howard retrouve Chris Hemsworth pour cette fois-ci nous raconter l’histoire vraie derrière le roman Moby Dick de Herman Melville. Le réalisateur n’a pas du trop tergiverser pour y voir une œuvre dans laquelle il pourrait s’épanouir ayant toujours aimé raconter les histoires tellement incroyables qu’elles en dépassent la condition d’homme. Et si en plus ces histoires sont emprunts de la réalité il parvient à être à son meilleur pour livrer un grand moment de cinéma comme il avait pu le faire avec son précédent film ou encore l’admirable Frost/Nixon. Tous les éléments sont donc réunis pour qu’In the Heart of the Sea soit le long métrage ultime du metteur en scène que ce soit en termes d’ambition, d’ampleur mais aussi d’esthétisme. Sauf que le film sera très vite rattrapé par ces nombreux défauts, et même si il est loin du naufrage, il ne sera pas aussi satisfaisant que ses mirobolantes promesses.
La faute reviendra principalement aux lourdeurs du scénario qui va se jouer en deux temps. Premièrement, on sera face à une œuvre quasiment biblique, qui montre le combat de l’infiniment petit, à savoir l’Homme, face à l’immensément grand, la nature. Le récit prend donc très vite des contours écologiques qui sont indéniablement louables, permettant de montrer les différentes facettes de la chasse à la baleine, ici à la fois un sport euphorisant qui rapproche, une quête de domination de l’homme sur la nature et aussi un acte barbare et cruel qui se doit d’être puni. Alors que les deux premiers thèmes sont plutôt traités avec discrétion et intelligence et viennent habilement faire écho au troisième, ce dernier devient très vite pompeux dans sa manière d’être appuyé que ce soit par la mise en scène ou l’écriture, ces aspects du récit vont simplifier les choses par la providence divine et ont tendance à agacer. Ensuite le récit sera aussi profondément ancré dans la rivalité humaine, ici symbolisé à travers deux hommes, le capitaine et son second, faisant d’In the Heart of the Sea, une suite spirituelle à Rush, la rivalité et les méthodes divergentes entre les deux hommes rappellent instantanément ce qui faisait le cœur de la relation entre Lauda et Hunt dans son précédent film. Cela forme une continuité appréciable dans la filmographie du réalisateur qui poursuit ses thématiques avec l’aide du scénariste Peter Morgan avec qui il avait collaboré sur son dernier film ainsi que sur son Frost/Nixon. Ici cette dualité entre les deux hommes est clairement l’aspect le plus intéressant du récit mais aussi le moins exploité. On vit l’histoire à travers le témoignage d’un jeune mousse de l’équipage de l'époque qui conte son aventure à Herman Melville qui travaille alors sur l’écriture de son Moby Dick.
Ce choix de narration devient très vite un autre gros problème du scénario car il alterne de manière régulière entre les scènes avec l’équipage du Essex dans le « passé » et les scènes de conversations entre l’écrivain et le dernier rescapé dans le « présent », venant à plusieurs reprises casser le rythme de l’aventure. Préférant s’intéresser à la chasse de baleine et faisant du naufrage son point d’orgue, sans pour autant accorder trop d’importance au combat contre le cachalot blanc qui est finalement anecdotique et expédié. Le film va quelque peu négliger la période de survie de l’équipage, se servant de sa structure narrative pour faire de nombreuses ellipses et passer sous silence la noirceur et les aspects les plus anxiogènes de cette histoire. Ce qui aurait dû être le cœur de l’œuvre n’est en fait qu’un post-scriptum en bas de page, toute la dimension psychologique est quasiment oubliée au profit de l’efficacité et de l’accessibilité de l’ensemble pour un vaste public. On est donc en face d’un récit exaltant mais désincarné qui ne suscite jamais l’effroi et le vertige qu’il aurait dû susciter. De plus toute les scènes avec l’écrivain sont maladroitement écrites et peinent à convaincre notamment dans la manière d’ajouter la femme du rescapé dans le récit, qui semble forcée et grossière offrant quelques passages assez agaçants. Tout ça reste quand même contrebalancé par les scènes dans le « passé » qui malgré un sentiment de survol par moments, se montrent efficaces et solidement écrites que ce soit dans les dialogues ou les relations entre les personnages qui arrivent à convaincre et à impliquer le spectateur en seulement quelques instants.
Le casting est pour beaucoup dans l’attachement que l’on peut avoir avec les personnages, tous font un travail incroyable et sont suffisamment connus pour susciter très vite la sympathie. Chris Hemsworth est encore une fois excellent et plein de charisme dans un rôle qu’il maîtrise à la perfection mais ici c’est vraiment le jeune Tom Holland qui impressionne. S’apprêtant d’ailleurs à rejoindre Hemsworth chez les super-héros Marvel, il prouve ici que c’est un acteur sur qui on pourra compter et qui fait preuve d’une densité de jeu assez incroyable, il est très bon dans chacune des facettes de son personnage. On notera aussi un Brendan Gleeson toujours aussi juste malgré des scènes bancales donnant la réplique à un très bon Ben Whishaw, sans oublier Cillian Murphy dans un rôle assez discret mais qui impressionne toujours autant par l’intensité de son jeu. Le seul et unique bémol viendra peut-être de Benjamin Walker qui a tendance à en faire un peu trop dans son prestation de capitaine acariâtre.
La mise en scène de Ron Howard, malgré quelques effets un peu trop appuyés, est fabuleuse et d’une densité folle. Arrivant à attirer l’œil de manière habile sur les détails les plus importants permettant de créer une œuvre à la symbolique bien pensée et subtile. Il utilise différentes focales pour accentuer l’aspect irréel voire cauchemardesque de son récit faisant de l’ensemble quelque chose de visuellement exaltant, jouant sur les plongées et contre-plongées pour accentuer la lutte entre l’homme et la nature, utilisant habilement la profondeur de champs et les échelles de grandeur arrivant à nous faire ressentir un sentiment d’étouffement au milieu de ses grandes étendues d’eau et de vide. La mise en scène est donc appliquée et possède de nombreuses idées virtuoses même si elle n’est pas techniquement parfaite. Certains fonds verts sont visibles gâchant parfois certains effets de gigantisme et le montage donne à l’ensemble un rythme en dents de scie, certaines longueurs se font trop ressentir. La photographie est saturée, donnant un effet jaunâtre et maladif à l’oeuvre et est étonnamment efficace s’accordant à merveille avec le récit et permet quelques plans sublimes, étant aussi accompagné d’un score musical inspiré et accrocheur.
In the Heart of the Sea est un film réussi mais indéniablement décevant quand à ses belles promesses, sur le papier tout était réunis pour en faire une oeuvre forte, primitive et marquante. Au final on est face à un bon divertissement, efficace et visuellement superbe mais souvent lourd et approximatif. Devant être l’apothéose de la collaboration entre Peter Morgan et Ron Howard, on est plus face au plus faible opus de leur trilogie malgré de sublimes et fulgurantes visions de cinéma. Le spectacle est cependant hautement regardable et recommandable par ce casting qui incarne magistralement ce récit malgré tout solide et superbement emballé par la mise en scène d’Howard.
Critique sur cineseries-mag.fr