Quand Claude Chabrol pose ses caméras en pays malouin, ne vous pas préparez pas à une élégante virée touristique. Vous ne découvrirez de Saint Malo qu’une plage déserte, l’image fugace d’un fort abandonné, le tout nuageux, pluvieux ou brumeux.
Chabrol filme des hommes, de préférence en gros plan. Il collectionne les portraits : un artiste peintre bancal, une lumineuse infirmière, une étoile du journalisme, une série de petits commerçants, une ribambelle de gamins… Au cœur du mensonge s’ouvre sur un meurtre d’enfant, doublé d’un viol. Pourtant, il bâcle l’intrigue policière, refusant de s’attarder sur les traditionnels indices qu’un émule du commissaire Bourrel se doit d’égrainer. Certes, il livrera le criminel, mais ses motivations nous resteront obscures, à croire que son nom a été tiré au sort parmi la liste des seconds rôles.
Chabrol développe une histoire. Il signe, aidé de sa complice Odile Barski, le scénario, qu’il porte ensuite en images. Chabrol est le fils adultérin de Simenon. S’il n’adapta que deux de ses romans ; Betty et Les fantômes du chapelier ; son ombre portée traverse l’essentiel de son oeuvre. Dans un polar simonien, le crime est le prétexte à l’intrusion d’un étranger dans un milieu fermé. Or, la justice autorise l’intrus, le commissaire, à interroger, aussi longtemps que nécessaire, les témoins. Il collationne les récits, doute, traque le mensonge, écoute son intuition et confronte les suspects. Pour marquer sa différence avec le vieux Georges, Chabrol cantonne le lourd Bernard Verley ; clone naturel de Maigret affublé de la moustache de Bourrel ; dans un rôle secondaire, pour confier les clefs de l’enquête à la délicieuse Valeria Bruni Tedeschi. Celle-ci parvient à incarner une flic crédible, sans rien perdre de sa féminité, voire de sa maternité. Antoine de Caunes endosse un rôle difficile, le sien… en plus cynique ! L’auteur à succès parisien se repose dans sa grande villa. Le libertin affole les bourgeoises, joue de sa réputation et cisèle ses futurs personnages de fiction. La caméra s’éloigne de l’enquête, pour s’arrêter, longuement, sur l’admirable jeu de deux ses héros. Sandrine Bonnaire/Vivianne Sterne s’ennuie. Elle réserve son délicieux sourire à son mari et à la star des lettres. Jacques Gamblin/René Sterne est un survivant. Grièvement blessé par une bombe, sa résilience a subjugué Viviane, son infirmière. Ils se sont aimés, puis mariés. Comme épuisé par une telle débauche d’énergie, il s’éteint. Il ne peint plus, n’expose plus et traine sa mélancolie entre deux cours de dessin. La victime était son élève. Dernier homme à l’avoir vue, le voilà suspect. Prudente, une mère lui retire sa fille. Les autres suivent. Une telle hémorragie d’élèves inquiète. La rumeur s’emballe. Qu’attendre d’un artiste improductif, d’un mari infertile, d’un homme inutile… René s’effondre. Bien qu’innocent, il se sait perdu, incapable de se défendre. A moins que Vivianne ne lui revienne. Mais, où est la belle Vivianne ?
Chabrol hésite. Fascinante puissance que celle de l’auteur qui tient dans sa plume le destin de ses personnages.