D’aucuns pourraient s’interroger sur la pertinence d’encenser un film d’Eastwood sur BUB tant le maître n’a plus rien à prouver à personne. Oui mais voilà, l’occasion fait le laron, Au-delà tombe à pic puisqu’il se voit crédité, et par la critique et par le public, d’une appréciation très moyenne ; certainement sa plus mauvaise depuis, disons, Créance de sang. Alors que les mauvais Mémoires de nos pères et Invictus ont recueilli tous les suffrages.

Ne sont-ce pas, finalement, les personnages d’Harry ou ceux, affreusement aigris, de Million Dollar Baby ou Gran Torino (par ailleurs deux chefs d’œuvre) qui provoqueraient un manque chez critiques et spectateurs ? C’est peut-être une piste, tant Au-delà est un film de lumière. Cherchez les mauvais là-dedans, il n’y en a point. Même les pires personnages y sont habités d’une once d’humanité (voir la petite racaille londonienne, les charlatans, tous drôles, ou le mécène de Marie). On n’avait pas vu ça chez Eastwood depuis… Sur la route de Madison. Qui, lui, malgré son scénario Harlequin, avait tout de suite été considéré comme un chef d’œuvre intemporel. Quinze ans après, l’histoire ne se répète pas et c’est difficilement compréhensible. Car de ces trois destins touchés par la mort, fascinés par ce fameux au-delà (dont Eastwood se moque visiblement comme de sa première chemise, vu le peu d’attention qu’il porte à sa figuration, assez kitsch), le réalisateur tire trois portraits d’une grande tendresse et des scènes d’une grande force, toutes dans des registres différents.

Sans aucun doute, la fragilité, la qualité d’interprétation des trois acteurs y est pour beaucoup. Cela fait même longtemps que l’on n’avait pas vu chez l’ami Clint des acteurs aussi bien mis en évidence. Bien sûr Angelina Jolie avait forcé le respect dans L’Échange mais certainement plus parce qu’elle y était à contre emploi. Ici, quoi de plus difficile que de rendre crédible des personnages qui croient en une « chose » qui, pour 95 % de la population, prête à rire ? La performance est d’autant plus belle que l’imagerie prêtée à la commercialisation de la chose en question (le livre de Marie et le site internet de George sont au centre de l’intrigue) n’évite aucun cliché du genre et pourrait rendre ces personnages ridicules. Mais non, rien à faire, ils sont beaux, ils sont blessés, et c’est émouvant. Admirez la scène de cuisine à l’aveuglette ou celle de Cécile de France flashant au salon du livre sur Matt Damon : c’est d’un romantisme à pleurer. Pour le reste, le réalisateur parvient en quelques minutes d’introduction à terrasser Emmerich sur son propre terrain (le film catastrophe) et égale les meilleurs Loach quand il brosse le portrait de ce gamin paumé dont la famille est désagrégée.

Décidément le personnage d’Harry a fait beaucoup de mal à Eastwood : traité de facho à l’époque, puis réhabilité, puis finalement véritable idole (car qui joue-t-il d’autre dans les derniers films où il s’est mis en scène et qui ont eu tant de succès ?), on ne peut plus considérer aujourd’hui qu’il y a chez lui, bien dissimulée, soit, mais présente tout de même, une certaine forme de romantisme. Il y a quinze ans avec Sur la route de Madison, il se rachetait sournoisement (mais joliment c’est vrai) une image alors que c’était un queutard de premier ordre (cf. l’excellente bio non autorisée de Patrick McGilligan), aujourd’hui il est taxé de mièvrerie. C’est qu’on n’a rien compris : Eastwood, vieux rabougri près de la mort et donc de son sujet, n’a sans doute jamais été aussi sincère.

Francois-Corda
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le 16 sept. 2018

Modifiée

le 24 mai 2024

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François Lam

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