La pensée est réelle, le physique n'est qu'illusion
Avant tout, Au-delà de nos rêves est un choc visuel kitsch. Peut être pas à l’égal de la transe d’un Enter the Void, mais d’un épanouissement total et d’une générosité sans borne dans le kitsch, qui repousse les limites de son univers à chaque minute qui passent. Il règne dans ce film le plus grand vent d’imagination et de grandiloquence qu’il m’ait été donné d’apprécier, depuis le Baron de Munchausen découvert quand j’avais 13 ans. Ce film est un des plus ambitieux dans son domaine (rendez vous compte que plus des 2/3 du film se passent dans l’autre monde), et il ne s’y attaque pas en voulant donner une cohérence à sa vision. Des films comme L’échelle de Jacob ou Enter the Void, donnant une vision de la mort, ont une idée en tête, suivent un plan de route, et se veulent vécus comme une authentique expérience. Au-delà de nos rêves n’est pas dans cette optique. Il traite le monde des morts comme un territoire vierge à explorer, où l’imaginaire de son créateur se trouve affranchi de toute contrainte (comme le dit le compagnon de route de Chris, « La pensée est réelle, le physique n’est qu’illusion. »). Ce qui en fait la boîte à imagination la plus incroyable jamais réalisée. Un univers en perpétuelle mutation, au potentiel infini, dont les décors somptueux ne cessent de changer, d’offrir un horizon encore plus lointain… Hélas, sur le plan des effets spéciaux, une telle ambition a des limites. Ainsi, certaines incrustations sont parfois réalisées à la va-vite, et on devine facilement le fond vert derrière les acteurs. Mais une telle générosité, une telle soif d’imaginaire (et une telle générosité dans le domaine) mérite déjà de donner au film une note maximale. D’ailleurs, le film a l’audace également de se créer des enfers pour les suicidés et les psychotiques, soit les gens qui se torturent moralement pendant leur vie, et après leur mort, sans pour autant virer sur le glauquissime d’une Echelle de Jacob (le film reste tout public, mais parvient, par l’intermédiaire de symboles bien choisis, à laisser entrevoir un côté sombre bien présent). Epoustouflant et éblouissant sont les adjectifs qui, techniquement, désignent le film.
Vient maintenant le registre sentimental. Le parti-pris du film est sa principale faiblesse, celle qui revient dans presque toutes les critiques mitigées qui l’ont jugé durement. Je pense que l’approche des sentiments et émotions éprouvées par les personnages n’ont pas été crées pour servir un but, un message. On pourrait croire qu’au-delà de nos rêves cherche à donner un message positif sur la vie, la mort, la famille… Mais non. A la manière des flashs back de la vie de famille qui mettent en valeur telle ou telle émotion, Au-delà de nos rêves se vit simplement comme un grand huit émotionnel. Un manège qui varie régulièrement les états de ses personnages, passant de désespoir à joie, de bonté à désespoir, de rage à mélancolie, sans chercher à donner un sens à tout cela. A tel moment, le film a envie de vivre telle émotion, et choisit de l’illustrer comme il le veut (ce qui explique le côté décousu et bordélique de sa trame et de son montage). Mais ce n’est pas un film schizophrène ou psychopathe pour autant. Car si Au-delà de nos rêves vire à la cacophonie d’émotions, il les vit toutes avec une spontanéité, une sincérité, une sensibilité pensée pour laisser le spectateur frémissant, plongé dans le maelstrom de ces âmes sœurs éloignées, mais proches de cœurs, dont tous les reliefs émotionnels sont retranscrits avec une affinité rare. Alors soit, il passe par des états dépressifs pour terminer sur un happy end irréaliste (un échappatoire par la réincarnation complètement hors de propos), le mélange sentimental est telle qu’il peut être catalogué comme une bouillie naïve, mais quiconque aura envie de vivre le film le fera avec d’autant plus d’intensité que la ballade émotionnelle fera de détours, dans une intrigue tout bonnement imprévisible.
Ce qui nous amène à l’ultime paragraphe de ma chronique, peut être le véritable moteur du coup de foudre : Robin Williams. De tous les acteurs de mon enfance, Robin a été celui qui m’aura le plus marqué et influencé, de toute ma jeunesse. Fan inflexible de Jumanji, et l’ayant apprécié dans plusieurs films familiaux, Robin a été un véritable référent dans mon système de valeur de jeunesse. Et avec le temps, j’avais pris de la distance, m’étais éloigné de ce Robin aux vannes lourdes, et pas toujours employé dans de bons films. Flubber et Camping Car m’avaient définitivement convaincu de tourner la page, en gardant un petit souvenir nostalgique pour le Robin de mon enfance, capable de jouer bien, et de prendre de la profondeur dans le drame (le classique Cercle des poètes disparus). Insomnia avait beau être prometteur, les récents Nuits aux musées et leurs facéties numériques m’avaient définitivement fait oublier les surprises. Et avec Au-delà des rêves, l’ancien Robin, le grand Robin, la bonté incarnée dont chaque intervention est une bouffée de châleur humaine, est revenu pendant deux heures. Un bonheur inespéré, pour l’une de ses meilleures performances en prime, où il laisse éclater sa palette émotionnelles dans des scènes dont l’intensité varie entre le bouleversement total et l’euphorie jubilatoire. Le come back, disparu depuis mes 10 ans, qui vient frapper sans prévenir et qui a gardé le meilleur après toutes ces années. La présence qui a immédiatement amorcé le bouleversement, et qui fait basculer en un visionnage Au-delà des rêves dans la catégorie des films les plus précieux de ma collection.