Bresson est un réalisateur qui fait “sous jouer” ses acteurs, il veut que ses acteurs soient plutôt qu’ils ne jouent afin qu'ils n'extériorisent que très peu d’émotions pour laisser la mise en scène exprimer elle-même ses émotions et permettre aux personnages de vivre dans le plan. Dans Au hasard Balthazar le réalisateur pousse sa méthode à son paroxysme puisqu’il choisit un âne comme rôle principal, le jeu d’acteur n’est plus nécessaire pour bouleverser le spectateur.
Dans la séquence d’ouverture Bresson laisse parler la beauté de la jeunesse, c’est le son et l’image qui évoquent cette tendresse, une tendresse que l’on ne retrouvera pas la suite que très rarement. Le réalisateur voit dans l’enfance quelque chose de merveilleux, l’inconscience des enfants sur le monde qui l’entoure leur permet de choisir ce qu’il voit, et ce qu’il voit est loin de la misère qui les entoure. L’état d’enfance est un état de rêve, nous permettant de jouer avec un âne dans une grange ou encore d’écrire le nom de son amoureuse sur un banc. Malheureusement cette jeunesse et cette insouciance sont limitées par le temps, et le temps est bien trop impitoyable pour nous laisser profiter de notre propre innocence, puisqu’une fois adulte, nous ne voyons plus que l’horreur. Quelques années se sont passées, et nous voilà déjà devenu adulte, plongé dans un autre monde, un monde de brutes, un monde de cruauté, un monde de gens abjectes. De ce monde nihiliste il ne reste que l’impassibilité de Balthazar, spectateur de la cruauté qui l’entoure. Mais cette cruauté qui l’entoure, il l’a subi aussi, étant parfois ruée de coups, parfois brûlé, parfois objet de spectacle. Évidemment il ne réagit pas, il ne peut réagir, il ne peut être sauvé. C’est dans un champ, entouré de moutons, qu’il s’éteint, après avoir vu tout ce que la laideur humaine pouvait lui faire subir, il meurt où ce que le monde a de plus beau à offrir. Ce qui au final restera les seuls moments de tendresse du film, ce sont les quelques moments de grâce entre Marie et Balthazar. Tous deux spectateurs de la misère humaine et victimes de sa brutalité, Marie retrouve en Balthazar l’ami qu’elle cherche, ayant perdue foi en l’humain, c’est avec cet âne qu’elle se trouve le plus.