Le paradoxe d'Aki Kaurismaki est que le dénouement heureux de la plupart de ses films n'atténue en rien l'authenticité de l'agonie lente et douloureuse qui le précède. Difficile en effet d'avoir le coeur léger à la vue du naufrage du couple incarné par Ilona (Kati Outinen) et Lauri (Kari Vaananen), après que l'un et l'autre aient perdu leur travail et s'enfoncent peu à peu dans la misère et le silence.
Mais le désespoir qui habite une grande partie du film n'est pas total tant le réalisateur est habile pour insérer de la poésie et de l'humour dans le quotidien morose de ses protagonistes. Cet art du détournement est parfaitement illustré par une des premières scènes du film: Lauri aide sa femme à se débarrasser de son manteau, lui masque les yeux avec la main gauche et la guide amoureusement jusqu'au salon. Il l'assied sur le canapé et fait un grand geste vers le mur opposé en demandant "Alors, ça te plaît?". La caméra reste figé quelques instants sur le couple avant de nous dévoiler la surprise: un téléviseur flambant neuf. Ilona reste stoïque, ne laissant deviner aucune émotion. La substitution dans cette scène du romantisme par le matérialisme, opérée par Kaurismaki, tire son efficacité et sa singularité des procédés mis en place par le réalisateur: un jeu d'acteurs sobre et simple, une mise à distance des émotions et limitation des échanges verbaux au strict minimum. Des procédés qui permettent d'épurer la mise en scène et de la préserver de tout mélodrame trop appuyé. Au profit de l'émotion fragile et sincère.
De ce point de vue là, Au loin s'en vont les nuages est une réussite incontestable et se révèle un véritable plaisir de l'âme.