Au nom du père.
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Ce film est d'abord une affaire de gens qui me paraissent savoir de quoi ils parlent. D'abord Edouard Bergeon qui raconte l'histoire d'une famille d'agriculteurs inspirée de sa propre histoire, de l'histoire de son père.
Ensuite, le producteur Christophe Rossignon, lui aussi issu du milieu agricole, bouleversé par le visionnage d'un documentaire d'Edouard Bergeon, "les fils de la terre".
Et puis Guillaume Canet, qui lui aussi a été élevé dans un monde agricole d'éleveurs de chevaux. Dans le bonus du DVD, il avoue avoir pris un réel plaisir à conduire la moissonneuse batteuse et notamment à finir de moissonner le champ avant que l'orage n'éclate …
Et ça se sent par la justesse de la photo, des propos et des caractères. Pleins de détails dans l'ameublement, par exemple. Comme cette façon de faire qui fleure bon la vie à la ferme : on commence par travailler et, si on a le temps, après, on discute. Mais aussi cette vérité montrée au spectateur néophyte que la dynamique du travail à la campagne ne colle pas forcément à celle qu'aimerait imposer la grande distribution (voire le client…). Je veux dire qu'on ne peut jamais moissonner le blé le lendemain du semis mais, seulement, de nombreux mois après … De même que le veau ne nait qu'après une période de gestation incontournable. Important de noter cette distorsion du temps qui joue un rôle essentiel dans la gestion des revenus de la ferme (et des problèmes).
Les caractères bien trempés des personnages (je serais même capable de mettre des noms de gens que je connais très bien). D'abord le grand-père (Rufus) qui cède (=vend) sa ferme à son fils (Guillaume Canet) dans une scène d'une grande crédibilité. Le grand-père, très dur et âpre voire sceptique limite goguenard, face à un fils enjoué et optimiste ; les échanges de regard des deux paysans matois, père et fils, à qui on ne la fait pas.
À voix haute :"l'important, c'est que ça reste dans la famille". Sous-entendu : "mais n'oublie pas que tu dois me payer quand même"
Très rapidement, le fils (Guillaume Canet) s'impose comme chef de famille et patron. Alors que le patriarche avait eu une façon de conduire son affaire en mode prudent et traditionnel mais moyennement rentable, le fils veut booster la productivité. Peut-être en remontrer à ce père si intransigeant. Élargir l'activité. Des projets juteux mais qui demandent des investissements. Mais devant les prévisions enthousiasmantes, les banques suivent. Gare aux aléas de production, aux incidents qui peuvent remettre en cause ce fragile édifice financier … et, si les choses vont trop loin, plonger la famille dans une véritable descente aux enfers …
Toujours intéressé par ces sujets que j'aime retrouver dans les romans de terroir, j'avoue que je craignais le film militant pur et dur, manipulé et manipulateur dont je ne retire jamais rien car je ne sais jamais si c'est du lard ou du cochon. Au contraire, ici, Edouard Bergeon la joue fine. On est au niveau du constat, à la croisée des chemins. Il n'accuse pas les organismes financiers ou la grande distribution qui jouent leur rôle. Il n'évoque que peu les contraintes réglementaires ou écologiques toujours plus serrées. Par contre, il ouvre le débat sur l'agriculture que le client final veut. Plus de productivité et moins de qualité pour des produits meilleur marché mais sans saveur, à l'instar des poulets que le grand-père rejette avec dégoût ? Sachant que cette logique infernale se traduit par une fuite en avant avec des investissements de modernisation indispensables et dont la rentabilité peut se révéler versatile.
Une fin alternative a été tournée qui adoucit un peu le propos général du film … Elle est proposée en bonus. Je l'aime bien car elle rend un sens positif au film. Mais, après moult discussions, Edouard Bergeon ne l'a finalement pas retenue car il voulait un film coup de poing, un film dur qui se termine par la fin du fils (Guillaume Canet) et un fondu-enchainé sur le père du réalisateur.
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le 24 août 2023
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