Ha, Quentin Dupieux ! Ca faisait longtemps que je voulais parler de toi. Quoi qu’on en dise, je pense que tu es l’un des cinéastes français les plus intéressants en activité. J’aime ce style si particulier qui est le tien. Cet absurde pas forcément contrôlé, que tu utilises à la fois comme élément comique et horrifique. Cet univers américain que l’on situe entre deux époques sans jamais vraiment le fixer. Ces influences multiples qui font plaisir à entendre venant d’un français ; Lynch, Buñuel et tant d’autres, ainsi que plein d’autres éléments qui mériteraient chacun une analyse entière. Ces dernières années, tu as réussi à te faire un nom parmi les cinéphiles et avec ton dernier film, Réalité, tu as atteint un pinacle dont beaucoup d’artistes rêvent. Tu as trouvé le parfait équilibre entre l’absurde contrôlé et incontrôlé. Tu as hissé cet absurde jusqu’à l’excellence. Tu as créé un mindfuck à la fois déroutant et en même temps très stimulant et tu as accouché de l’un des meilleurs films français de ces dernières années ainsi que de ton meilleur film. C’est donc avec beaucoup d’impatience que j’attendais ton prochain film, Au Poste. Qui plus est, tu allais le faire en France, entièrement tourné en français et avec un casting 100% français. La question est donc là ; avec un univers aussi original, ayant des partis pris aussi marqués et que tu as réussi à emmener aussi loin, comment allais-tu prendre la suite de ta carrière ? Allais-tu donc réussir à rebondir après ton coup de maître ? Allais-tu faire mieux que Réalité ?
…Hou là !
Bon… je n’ai pas été vraiment convaincu par Au Poste.
Le film raconte l’histoire de Fugain, un simple habitant d’une banlieue Parisienne joué par Gregoire Ludig, qui a découvert par hasard un cadavre en bas de son immeuble alors qu’il était parti acheter de l’insecticide pour tuer un moustique trop envahissant. Suite à ça, il se retrouve soupçonné de meurtre et interrogé par le commissaire Buron, joué par Benoit Poolevorde, un pseudo limier fumeur et sceptique bien peu enclin à l’écouter. Mais entre le caractère ingérable des 2 personnages, les interventions impromptues des collègues de Buron, et la manière pour le moins étrange dont le passé va se mêler au présent, l’interrogatoire s’annonce long… très long…
Car oui, c’est bien ça le problème. Le film peine à se mettre en place. Les 15-20 premières minutes sont longues. Les Dupieux précédents cherchaient surtout (mais pas que) une sorte de magnificence presque Lynchéenne dans leur manière de gérer l’absurde. Une pluie torrentielle qui s’abat dans les bureaux d’une petite entreprise, un pneu doué de conscience qui fait exploser la tête des gens par télékinésie, une fusion de plusieurs décors qui forme un gros bordel... Au Poste, bien qu’ayant toujours certains gags de ce genre, travaille plus un côté plus banal des gags. Il veut jouer surtout sur les situations banales, les petits détails. Sauf que le tout sonne très inégal. Car là où Réalité possédait une maîtrise impeccable de l’absurde et un rythme parfait, Au Poste patauge beaucoup plus. Le fait de rester dans un registre banal fait que le film n’a pas de scènes magnifiques, ces scènes étranges et prenantes qui font qu’on rentre tout de suite dans le film. Résultat, le film fait très plat, très laborieux. Dupieux retombe même dans certains de ses travers. Dans tous ses précédents films, à l’exception de Réalité, à force de vouloir créer de l’absurde, certains gags, comme les passages gras de Wrong Cops ou ceux cartoonesques de Steak, tombaient à plat et devenaient juste poussifs. Il est retombé dans ce travers avec Au Poste. Certains gags fonctionnent bien mais d’autres, comme Poolevorde qui galère pour organiser son rendez-vous ou Orelsan qui joue un ado caricatural sont vraiment lourds.
Il plane d’ailleurs sur tout le film une platitude assez dérangeante qui s’étend partout, jusque dans le scénar’. Le principe ici est également de prendre le contrepied des précédents films où ce qui importe n’est pas forcément les évènements décrits, mais la confrontation entre les deux personnages principaux. Alors certes, les dialogues sont excellents et d’ailleurs magnifiquement portés par Poolevorde et Ludig. Mais à côté de ça, le film n’arrive jamais à sortir de son postulat de base. Il reste constamment dans un entre deux ou la soirée de Fugain est à la fois trop anecdotique et trop creuse pour qu’on s’y intéresse réellement, mais toujours suffisamment au centre du film pour parasiter les autres éléments potentiellement intéressants, ce qui crée un sentiment d’inintérêt assez désagréable. C’est quand même vraiment problématique de ressentir de la longueur sur un film d’1h10.
Et c’est dommage parce qu’une fois passés ces inconvénients, le film est vraiment cool.
C’est un film où Dupieux tente des choses, où il veut faire avancer son cinéma. Ça fait plaisir de le voir changer de style et s’essayer à quelque chose de plus français, notamment via les références aux polars des années 70-80 : Garde à vue, Peur sur la ville, Buffet froid, Le magnifique… Le film en joue d’ailleurs brillamment et ne tombe jamais dans la citation lourdingue. La référence se fait surtout via des petits éléments, comme avec les vêtements qui font très années 70 ou le pitch de base qui évoque le genre du film d’interrogatoire. Elle reste constamment de l’ordre du détail, sans jamais empiéter sur le visionnage. Mais aussi via l’univers visuel. Que ce soit le bureau vintage du commissaire Buron avec son plafond à néons et ses murs salis ou l’appartement très Parisien de Fugain, le film possède cette aura à la fois vieillotte et en même temps hors du temps. On a constamment l’impression d’être à une autre époque sans jamais pouvoir la situer clairement, ce qui crée un sentiment d’ailleurs très immersif. Et en baignant le tout dans cette ambiance rurale nocturne, une première dans sa filmographie, Dupieux arrive à créer cette espèce de bulle filmique qui confère au visionnage l’impression d’être suspendu dans le temps. Je ne sais pas à quoi tout ça tient exactement. La lumière chaleureuse ? La photo légèrement jaunâtre ? Les lieux visités, comme la superette ou le bar ? Cette scène ou le personnage de Fugain fait semblant de fumer dans la rue ? Ces moments de vie insignifiants que Dupieux arrive à choper, comme la faim d’un des personnages ou de sortir prendre l’air en pleine nuit ? Toujours est-il que je suis allé le voir le film en soirée et qu’en sortant de la séance, j’avais envie d’en profiter me balader en ville en pleine nuit en écoutant de la musique des années 80.
L’humour n’est pas non plus en reste. La manière qu’à Dupieux de jouer sur les petits détails fonctionne bien et le film possède plusieurs bonnes trouvailles comiques. Le running gag des personnages qui répètent sans arrêt « C’est pour ça ». Les petits jeux de mots (« Gardez un œil sur lui ») et autres punchlines. Le comique de geste très cartoon avec Marc Fraize qui trébuche sur un casier ou la voisine qui referme sa porte de manière robotique en tirant une tête de six pieds de long. Les réactions toujours absurdes des personnages. Cet arc complètement barré du cadavre dans le placard. Le jeu sur les maladies des personnages où vas-y que j’ai un œil en moins, un trou dans la poitrine ou que je suis atteint d’Alzheimer. Et bien sûr les dialogues excellents, car Au Poste est clairement le Dupieux le plus verbeux. Il a toujours été un excellent dialoguiste et il le démontre encore une fois ici. Malgré quelques ventres mous ici et là, notamment au début, tout est extrêmement bien ciselé. Le film possède un vrai sens du timing et enchaine les sujets improbables, les échanges absurdes et les répliques au potentiel culte avec une fluidité qui fait plaisir à voir. Même les trucs les plus casse-gueule comme les répétitions constantes de « C’est pour ça » sont maniés avec brio au point que, malgré son changement de style, je trouve qu’Au Poste est clairement le Dupieux le plus drôle, ainsi que son plus accessible.
Pourtant, malgré tous ces écarts, le film reste un pur Dupieux. Ça fait plaisir de le voir garder cette patte si particulière. Sa manière de jouer sur les flash-back et sur comment le présent se mêle au passé rappelle ce qu’il avait déjà expérimenté dans Rubber et Réalité. Son humour absurde possède cette angoisse très caractéristique qui arrive à faire rire tout en créant le malaise. L’impression d’être hors du temps est quelque chose d’inhérent à sa filmographie, que l’on retrouve dans chacun de ses films. Le casting, aussi, est toujours autant impeccable. Je suis d’ailleurs toujours surpris par cette manière qu’à Dupieux de caster ses acteurs. Ils sont toujours en décalage par rapport à ce qu’on attend d’eux, mais jamais incohérents par rapport à sa vision, comme quand il a casté Eric Judor en jardinier idiot puis en flic difforme dans Wrong et Wrog Cops, ou Alain Chabat pour le marier à Elodie Bouchet dans Réalité. Et il maîtrise toujours cette science avec Au Poste. L’hilarant Marc Fraize en flic borgne et stupide marié à Anaïs Demoustier portant une perruque afro, le duo Poolevorde en pull bleu-Ludig avec une moustache à la fois improbable et magnifique… Même le retournement final, dans son désamorçage totalement absurde de l’intrigue, possède cette saveur Dupieux très particulière.
Au final, c’est surtout dommage que tous ces bons éléments soient parasités par ce rythme et cette platitude qui les empêche de totalement nous immerger.
Donc non, Quentin. Au Poste n’est clairement pas ton meilleur film. Rubber, Wrong et surtout Réalité sont bien meilleurs. Ce n’est pas non plus mon préféré, je préfère de loin tes précédents. Ton film est très sympa, mais il est plombé par ses défauts, et tu as encore des progrès à faire pour maîtriser cette nouvelle voie. Car comme l’a dit un critique célèbre « La première moitié du film est génial, la deuxième est poussive. » Mais tu sais quoi ? Ce n’est pas grave parce que justement, tu tentes des choses, tu ne te repose pas sur tes lauriers, tu essaie toujours d’apporter quelque chose de nouveau au spectateur et au final, tu arrives à faire un des meilleurs films français de l’année. Tu es le genre de réalisateurs qu’il faut au cinéma français. On peut reprocher beaucoup de choses à ton film mais, comme pour la saison 3 de Twin Peaks l’année dernière, même si je suis assez dubitatif, ça fait plaisir de voir une œuvre porter la patte d’un artiste qui cherche à proposer quelque chose d’intéressant au spectateur. Au final, peu importe si tu fais des erreurs, je suis toujours curieux de voir ce que tu as à proposer et j’attends ton prochain film avec impatience.
Comment ? Ce sera un film sur un daim… qui parlera du consumérisme… et qui sera avec Jean Dujardin...
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…Lever de rideau
Applaudissements
-Allez viens Quentin, ils sont tous là pour toi !
Applaudissements
-Je sais, c'est pour ça.
Applaudissements
-Et sinon, c’était comment ?
Applaudissements
-C’était pas mal. T’a pas utilisé de dialogues, c’est pour ça. Ça aurait été mieux, c’est pour ça.
Applaudissements
-Ouais, c’est pour ça, j’ai encore des progrès à faire niveau dialogues. Et sinon, t’a recommencé à boire pour écrire Le Daim ? C’est pour ça ?
Applaudissements
-Non, je bois pas. Ca se verra quand tu verras le film, c’est pour ça.
Applaudissements
-Ouais, j’espère bien que ce sera pour ça !
Double fou rire au milieu des applaudissements