Il n'y a rien de plus beau dans l'art que de ne pas réfléchir

APRÈS SÉANCE


Ce titre n’est pas de moi, mais de Quentin Dupieux himself. Il s’agit en réalité de sa philosophie, aussi bien en musique (Mr.Oizo) qu’au cinéma. Il n’y a qu’à survoler sa filmographie : un film proposant une mise en abyme sur son propre tournage, l’histoire d’un pneu meurtrier aux pouvoirs psychokénétiques, ou une œuvre sur la recherche du meilleur gémissement du cinéma… Y a pas à dire, ne pas réfléchir c’est vraiment la clé. Je parle volontairement de survol parce que ma seule expérience cinématographique en lien avec Dupieux se résume aux trente premières minutes de Steak, avant que je décide de ne pas m’infliger le reste.


Ce n’est donc pas en tant qu’aficionado que j’ai pris ma place pour Au poste !. Non, c’est en réalité sa bande annonce méta très intéressante qui a piqué ma curiosité. Une histoire de meurtre, de flics, d’interrogatoire dans un commissariat 70’s qui pue le tabac froid. Ce teaser décalé n’était en réalité que la partie émergée d’un iceberg absurde.



SUR LE FOND : 5 étoiles



La scène d’ouverture donne clairement le ton : un homme moustachu en élégant slip rouge dirige un orchestre jouant la 39e symphonie de Mozart au beau milieu d’un champ. Quel est le rapport avec notre intrigue policière ? Absolument aucun, mais ça donne le ton : Au poste ! va être barré comme le reste de la filmo de Dupieux.


Après cette introduction qui n’introduit rien du tout, le film laisse la place à son intrigue pas vraiment intrigante. Le commissaire Buron (Benoît Poelvoorde) cuisine Fugain (Grégoire Ludig) pendant 1h13 sur le corps qu’il a découvert en bas de chez lui. En tant que suspect n°1 dans ce qui ressemble à un meurtre à coup de fer à repasser, Fugain va devoir donner sa version des faits. Par leur échange et les différents flash-backs de Fugain, nous allons retracer cette soirée atrocement ordinaire, à la fois chiante et absurde. A mon sens, il s’agit là de toute la thématique d’Au poste ! : l’inintéressant, le quotidien ordinaire, le sempiternel vide.


Tout ce qui est raconté est effectivement volontairement emmerdant, tiré en longueur jusqu’à atteindre l’absurdité. Cela fonctionne grâce à des personnages aussi étonnants que banals (quoi, on dit banaux ?). Fugain est le parfait Monsieur Tout-le-monde avec sa vie ordinaire, ponctuellement bousculée par des péripéties extraordinaires. Il est le con de service cuisiné pour le simple plaisir bureaucratique d’un commissaire solitaire, et de plus en plus enlisé au fur et à mesure des évènements. Buron est le flic sans vie civile, capable de partager qu’une moitié de hotdog avec son fils (au passage, la prestation d'OrelSan est tellement insignifiante qu'il est difficile de juger...). L’interrogatoire de Fugain, aussi chiant soit-il, est probablement la chose la plus intéressante qui s’offre à lui. Les personnages secondaires sont assez discrets, mis à part Philippe (Marc Fraize) qui a tout de même son quart d’heure de gloire. Aucune importance, on est dans l’anti-fusil de Tchekhov : des éléments sur lesquels l’intrigue a été centrée vont être littéralement mis au placard.



Oh yeah I used to know Quinnan. He's a real, he's a real jerk



Je trouve la fin un peu décevante. Le double retournement de situation en mode boucle absurde m’a un peu décontenancé. Le lever de rideau, pourquoi pas. Cela m’a fait penser à l’épisode « La chasse » de Black Mirror (S02E02). Cela aurait pu être une critique de notre société Big Brother, où il faut tout le temps se justifier de tout. Au point que ça en devienne une farce, une comédie où nous serions les personnages tels Fugain au centre de la scène. Le film aurait dû se terminer comme ça, mais cela lui aurait peut-être donné trop de sens. Ne pas réfléchir, c’est la clé…



SUR LA FORME : 6,5 étoiles



Comme indiqué plus haut, je ne suis pas un expert de Quentin Dupieux, mais j’ai cru comprendre que c’était son premier « film nocturne », ne s’appuyant pas sur la lumière naturelle de la Californie. Eh bien, sur ce point, c’est une grande réussite. J’aime beaucoup la photographie d’Au poste !. La lumière chaude, légèrement sépia accentuant l’aspect vieux polar 70’s, contraste énormément avec l’architecture urbaine, brute, et froide du commissariat. Les décors tout en bois et béton ciré sont simples, primitifs et vraiment beaux. Cette simplicité se retrouve également dans la façon de filmer : beaucoup de plans fixes ou de travellings horizontaux. C’est simple, discret et bien réalisé.



Je ne suis pas habitué aux aliments rocheux, c’est pour ça.



Cette simplicité de réalisation permet également la pleine pertinence du terme de « théâtre filmé ». Au poste ! est un film à texte et il est fort à parier qu’un bon nombre de ses répliques deviendront cultes au même titre que celles de La Cité de la peur ou de Dikkenek. Quentin Dupieux a laissé une place très importante au jeu d’acteur et aux dialogues. Une bonne direction d’acteurs payante car ils sont globalement très bons, notamment Benoît Poelvoorde et Grégoire Ludig. Les dialogues bien écrits tournent autour de situations qui deviennent drôles par leur nullité et leur longueur. Ainsi, même avec une durée de 1h13, certaines séquences étirées jusqu’à la rupture sont clairement ennuyeuses et tirent le sourire à l’usure. La durée singulière d’Au poste ! était peut-être alors plus une nécessité qu’une originalité.


Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 6 étoiles


Spockyface
6
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le 16 juil. 2018

Critique lue 384 fois

Spockyface

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