Je travaille sur le triste sort des enfants juifs durant la seconde guerre mondiale, et je ne pouvais pas passer à côté de ce merveilleux film de Louis Malle, venant ainsi compléter le terrible tableau des souffrances d'innocents (comme Annette Müller, Anne Frank…).
En 2002, Jean-Pierre Guéno édite Paroles d'étoiles : mémoires d'enfants cachés, permettant à tous ces anges de la Guerre de recouvrer une certaine dignité, une deuxième vie au travers travail de Mémoire. Les images réelles sont difficiles à regarder, mais le chef-d’œuvre de Louis Malle ne l'est pas moins. D'autant plus lorsque l'on sait que le réalisateur a voulu mettre en scène, de façon romancée, ce qu'il a vécu lui-même en janvier 1944. Le sujet est extrêmement douloureux, et en 1993 Louis Malle déclara même que « cet événement [l'] avait traumatisé ».
Les couleurs sont ternes, fondues entre un bleu-gris glauque et le marron. Le soleil n'est jamais présent et le film nous plonge dans une lenteur qui s'appesantit à mesure que l'histoire avance. Il pleut souvent, il neige ,au début nous sommes à l'issue des vacances de Noël et le jeune Julien, jeune adolescent, accueille avec toute sa classe trois nouveaux garçons. L'un d'entre eux s'appelle Jean Bonnet, pseudonyme banal pour un enfant pas banal puisque son véritable nom de famille est juif. Une amitié se tisse au fur et mesure entre Jean et Julien, au début les chamailleries sont nombreuses, il faut apprivoiser le nouveau, celui qui vient de dehors et qui révolutionne l'harmonie depuis longtemps établie dans la classe. Mais Julien est un enfant malin, il fait sa petite enquête, surprend Jean en train de prier, commence à comprendre qu'il ne mange pas de porc, et fouille dans ses affaires jusqu'à découvrir sa véritable identité. Cela devient son secret, puis leur secret, sans qu'il y ait vraiment de complicités à ce sujet, puisque le Réel les rattrape et ne leur en laisse pas le temps. Nombreux sont les passages où Jean est dans la gueule du loup sans que le loup soit au courant, on tremble, on craint pour la fil si fragile de ce jeune innocent.
Nous accompagnons ces jeunes au travers d'une vie au collège difficile, le chauffage manque, la nourriture n'est pas variée et les professeurs, laïcs ou religieux qui dispensent une éducation stricte sont sévères mais bienveillants. Le pensionnat est cependant une école de riches dirigée par un prêtre soucieux du bien-être de ses élèves et de ses protégés vivote dans ce temps de guerre terriblement angoissant...les journées sont ponctuées par les récréations, les repas mais aussi les alertes qui obligent adultes et enfants à se réfugier au sous-sol. La présence allemande est discrète mais non moins présente et se fait de plus en plus pressante tout au long de l'histoire. Il devient de plus en plus difficile d'ignorer que nous sommes en 1944 et que les juifs sont purement pourchassés, arrêtés, exécutés ou envoyés dans les camps de concentration. Jean et Julien se créent leur univers, loin des jugements et de la méchanceté gratuite, ce qui rend la fin plus poignante encore car Louis Malle filme dans une grande pudeur la tragique séparation des deux amis. La fin lui tenait à coeur : « J'ai commencé à écrire les scènes de la fin ; c'étaient celles que je ne voulais pas changer » car elle est le témoignage cru et sombre de l'impuissance ressenti par l'enfant, incapable d'agir car pris dans l'étau de fer de l'occupant.
D'après ce que j'ai lu, le film reçut un très bon accueil aux Lions de Venise où il obtint en 1987 le plus haut titre.
De tous les films que j'ai pu voir sur le sujet, de près ou de loin, c'est pour le moment celui que je préfère de tous. C'est une œuvre intime, pudique et très triste….et il appartient à la catégorie de ceux que j'appelle chef-d'oeuvre.