Pendant que Q se plaint de la vétusté des technologies du MI6 à l'heure des ordinateurs (en 1969, déjà !!!), un Bond qui n'est pas Sean Connery conduit sa voiture sur une route sinueuse de la côte portugaise dans la pénombre de l'aube naissante. Il allume sa cigarette avec classe, le visage toujours dissimulé. Soudain, il aperçoit une femme, qui l'avait auparavant doublé en voiture, se préparer au suicide en s'avançant dans les vagues sur la plage. Déjà, l'ambiance est mélancolique. Bond n'est pas en mission, il musarde. Et la rencontre qu'il fera là par hasard sera décisive pour tout le film. Le combat qui suit, entre l'ombre et la lumière, a aussi quelque chose de particulier.


A partir de cet instant, la tension amoureuse montera doucement entre James Bond 007 et la Comtesse Tracy di Vicenzo. Le premier est interprété pour la seule et unique fois par George Lazenby, la deuxième par Diana Rigg, bien connue pour avoir joué de 1965 à 1968 dans la série oh so british Chapeau melon et bottes de cuir et dernièrement excellente comme Dame Olenna Tyrell disant tout haut ce que tout le monde pense tout bas dans Game of Thrones (2013). Elle n'a pas vraiment changé finalement ! Les deux acteurs ne pourront paraît-il pas se saquer sur le tournage.


Dans le film, on ne sait jamais vraiment qui attire l'autre, et chacun veut sauter le pas tout en ayant peur de se brûler les ailes. Le père de la comtesse est le Capo de l'Union Corse Draco (Gabriele Ferzetti), un voyou gentilhomme très préoccupé par les états d'âme de sa fille et l'espion James Bond lui semble paradoxalement le prétendant idéal. Les frontières entres voyous et héros ne sont plus si nettes dans ce film. Alors que Draco lui offre une dot d'un million de dollars pour marier sa fille, Bond refuse mais finit par accepter de se rapprocher d'elle prétendument pour obtenir des renseignements sur Bleuchamp, le nom francisé de l'ennemi Blofeld (alias Blaufeld en bon allemand), que Tracy a fréquenté.


En toile de fond de cette histoire se révèle ainsi les bouleversement de l'époque sur les rapports hommes-femmes. Alors que le schéma traditionnel patriarcal est bien présent avec la figure du père et la symbolique de la dot, ni Bond ni Tracy ne veulent s'y plier. Bond a dans ses gènes une sainte horreur de l'engagement, lui le coureur de jupons accompli. Elle ne veut surtout pas « faire partie d'une transaction » entre son père et Bond. En général dans les films de la saga, Bond arrive toujours à mettre de la chair fraîche féminine dans son lit, après que celle-ci se soit dans un premier temps refusée à lui. Il suffit qu'il insiste un peu et hop, son charme opère. Toute la culture de l'homme conquérant et de la femme résistante parce que respectable puis soumise parce que subjuguée devant ce mâle dominant qui conduit dans ses extrèmes à la « culture du viol » est contenu dans l'imaginaire de 007 Connery et 007 Moore, films machisants par excellence. Les rôles entre Bond et Tracy sont curieusement inversés dans celui-ci : alors que Lazenby, une carrière de top-model derrière lui, est un peu là pour faire joli et semble fait de cire, Rigg représente une femme résolue, franche et directe, avec un passé tourmenté et « de très jolis lobes d'oreille ». Ici, la relation entre Bond et Tracy a plusieurs niveaux de lecture, pose plus de questions que ne donne de réponses sur des thématiques universelles. Une subtilité inédite dans la saga. Tout comme dans les scènes hilarantes du Piz Gloria, où Bond, soi-disant médecin, rencontre avec stupeur les dix patientes, toutes jeunes et jolies bien évidemment, du Dr Bleuchamp. Un nouveau harem pour James Bond, se dit-on en première lecture. Sauf qu'ici c'est Bond qui se ramène en jupe-kilt. Tout un symbole dont Connery – pourtant écossais – n'avait jamais eu l'audace dans les six films précédents. Et c'est lui qui se fait mettre la main à la cuisse. Il en est rendu, comme une jeune midinette, à donner des rendez-vous les uns après les autres. Une autre scène où Bond feuillette une revue Playboy alors qu'un de ses gadgets se charge d'ouvrir un coffre-fort fonctionne comme une hyperbole ironique. Ce film met de façon exceptionnelle les points sur les i.


Mais si cet opus fait la part belle à l'humour et à la romance voire à la mélancolie, il est aussi et surtout un formidable film de suspense et d'action-aventure entre le Portugal et la Suisse neigeuse, ici superbement mise en valeur. Les deux course-poursuites en descente à ski resteront inoubliables et la fameuse scène de l'avalanche comme la scène de bobsleigh nous fera retenir notre souffle. La glaciale Fräulein Irma Bunt (Ilse Steppat), genre de maquerelle acide avec sa troupe de poulettes, se révèle plus flippante encore que la Rosa Klebb de Bons baisers de Russie (1963). La scène d'auto-tamponneuses fait aussi plaisir à voir. Vu que le film ne se conforme pas complètement aux canons de la saga, et comme les scènes d'actions sont exceptionnellement millimétrées, on est en terrain inconnu, on a le sentiment que tout peut arriver, le pire comme le meilleur. Et d'ailleurs, tout arrive !


On appréciera aussi les petites références, les petits détails mordants ou carrément insolites, mais jamais complètement à côté de la plaque. La scène de la grange entre Bond et Tracy fait vite fait penser au face-à-face Bond-Pussy Galore dans Goldfinger (1964). La scène de romance transie entre Bond et Tracy avec en fond sonore We Have All the Time in the World du grand Louis Armstrong est le seul moment un peu trop sirupeux du film, à la Autant en emporte le vent (1939). On aime ou on déteste... Le générique est aussi une compilation des six films précédents.


Le film est aussi magnifié et rythmé par la meilleure bande originale de la saga, écrite par John Barry sur les notes de Louis Armstrong. En conclusion, ce film est un chef d'œuvre absolu où tous les ingrédients de la saga sont présents dans un dosage presque parfait, où certaines lacunes habituelles de la franchise sont comblées. Et la fin, ah la fin...

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le 10 avr. 2015

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filmdeouf

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