Une maternité n'offre-t-elle pas le huis clos bergmanien idéal ? Notre amoureux des femmes y réunit trois de ses plus belles actrices aux prises avec les joies et les douleurs de la maternité. Cecila Ellius (Ingrid Thulin) arrive en ambulance dans l'angoisse : elle saigne, va-t-elle perdre son enfant ? Stina Andersson (Eva Dahlbeck) l'accueille avec bonté dans leur chambre. Heureuse et impatiente d'accoucher, elle aide de son mieux la jeune Hjördis Petterson (Bibi Andersson) hospitalisée contre son gré alors qu'elle souhaitait avorter...


Pendant quelques heures cruciales le destin croisé des trois femmes marque à jamais leur existence. L'épreuve personnelle de la maternité exacerbe leur relation au père de l'enfant. Où sont les pères ? questionne Bergman. Malgré sa bonne volonté Anders Ellius est sèchement rejeté par Cecilia, dont l'exaltation semble morbide. L'amant de Hjördis refuse au téléphone de la voir, parle cyniquement d'avortement, refuse d'être père... Seul le couple Andersson se réjouit d'être ensemble (Max von Sydow, à la vocation paternelle triomphante, rayonne dans le rôle d'Harry).


Difficultés et ambiguïté de la grossesse sont étroitement liées à la relation à la mère. Donner la vie c'est découvrir les contradictions et les conflits de sa propre vie, des vérités complexes qui déconcertent. Vais-je accoucher d'un héros ou d'un monstre ? Ne vais-je pas en mourir ? Cecilia s'angoisse de ne pas être à la hauteur comme épouse et comme mère. Peut-elle donner l'amour qu'elle n'a pas reçu ? Sa fausse couche est d'abord d'origine psychique. Hjördis a peur de renouer avec sa mère qui lui a interdit de revenir enceinte à la maison. Va-t-elle avorter de nouveau ? Seule Stina, aimée par sa mère et son mari, s'épanouit en future mère.


Par d'innombrables gros plans Bergman traque les visages des trois héroïnes, de l'infirmière Brita (Barbro Hiort-Af-Ornas) et des autres acteurs. Un arc-en-ciel d'émotions se déploie dans le champ de la caméra depuis l'euphorie de Stina jusqu'au désespoir de Cecilia, de la joie retrouvée de Hjördis jusqu'à la déréliction catatonique de Stina. Longtemps notre mémoire reste imprégnée par la bonté sereine de Brita ou l'incompréhension ahurie d'Anders (Erland Josephson).


Actrices et acteurs sont irréprochables, mais la mise-en-scène manque d'inventivité et de rythme. L'action est simple, linéaire, peu soucieuse d'invention formelle. C'est étonnant après la complexité des "Fraises sauvages" ou du "Visage". Je pense parfois à un téléfilm où les virus et les microbes de la psychologie prolifèrent. L'histoire universelle de la vie, des accouchements ou des fausses couches, des relations de couple et de la mort déroule ses circonvolutions dans un cadre austère et hygiénique. Mais c'est aussi l'épopée d'une vie plus forte que la mort : la scène où l'on sort les bébés de leurs tiroirs pour une tétée collective et braillarde devient lyrique.


"Le plus beau paysage que l'on puisse filmer, c'est le visage humain" (Ingmar Bergman). Même le visage brouillé et éteint de Bibi Andersson (en souillon traîne-savates mâchouilleuse de chewing-gum) peut s'illuminer. Ingrid Thulin s'incarne en prophétesse déboussolée, incapable de reconnaître l'amour en son mari comme en elle-même. Une soif de dénigrement masochiste ravage son visage de madonna dolorosa. Eva Dahlbeck, tantôt fillette aux tresses blondes au rire communicatif, tantôt incarnation de la féminité victorieuse, passe d'un extrême émotionnel à l'autre. Elle déverse sur ses compagnes la surabondance de sa nature généreuse et sa joie jubilatoire - miracle de la vie en son allégresse.

lionelbonhouvrier
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le 15 déc. 2018

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