Au travers des oliviers commence sur le ton de la comédie. Un réalisateur tourne un film dans le petit village de Koker, il s’agit du film Et la vie continue. Il cherche ses acteurs dans la population locale. Nous assistons au casting, aux préparatifs, au tournage. Ces personnes n’étant pas professionnelles et étant peu familiarisées avec le monde du cinéma, l’équipe de tournage doit s’adapter à elles, à leur logique, leur comportement. C’est ainsi que la même scène est rejouée un nombre incalculable de fois parce que les acteurs se refusent à dire les répliques comme on le leur demande. Il n’est pas du tout évident pour eux de séparer fiction et réalité, donc ils restent eux-mêmes quand ils jouent un rôle et il y a certaines choses qu’ils ne peuvent dire ou faire. Le réalisateur doit chercher à comprendre pour obtenir ce qu’il veut ou bien finir par capituler quand il ne peut l’obtenir !
Mais très vite l’aspect comédie se double d’un aspect dramatique à partir de l’entrée en scène de Hossein, un jeune homme illettré et pauvre. Il est amoureux de Tahereh, une jeune fille d’un milieu un peu plus aisé, qui fait des études. Hossein a fait plusieurs demandes en mariage et malgré les refus répétés de la famille, il s’obstine. Il finit par s’adresser directement à Tahereh en profitant des séances de tournage du film dans lequel ils ont chacun un rôle pour lui faire sa cour. La manière dont il s’y prend pourrait nous faire penser à du harcèlement, mais ce serait mal comprendre la culture iranienne ! La répétition est une dimension clé de cette société. Les gens répètent les mêmes choses encore et encore, non pas en cercle, mais en spirale, allant toujours un peu plus loin dans ce qu’ils disent.
Si Hossein est illettré, il est loin d’être idiot. Il a au contraire une pensée personnelle et surtout une pensée subversive. Il sait profiter des situations et montrer l’hypocrisie des discours tenus. On lui a refusé la main de Tahereh sous prétexte qu’il ne pourrait lui offrir une maison à habiter ! Il fait remarquer que le tremblement de terre est passé par là et qu’aujourd’hui beaucoup de personnes ayant une maison n’en ont plus ! Donc ils sont tous à égalité ! (voir : Et la vie continue)
Il réfléchit sur l’ordre social :
Je pense que si les propriétaires se marient avec des propriétaires, les riches entre eux, et les analphabètes avec leurs égaux, rien ne fonctionnera. Il est beaucoup mieux que les gens lettrés se marient avec des analphabètes, que les riches se marient avec les pauvres, ceux qui n’ont pas de maison avec les propriétaires fonciers. Et ainsi, tous pourraient s’aider. Je crois que c’est le mieux.
Très bel idéal ! Mais qui a peu de chance d’en convaincre beaucoup !
Ce qui attire Hossein en premier ce n’est pas la beauté. D’ailleurs il le dit clairement à Tahere qui sans être une beauté fatale est pourtant plutôt jolie : « Il y a des filles plus belles que toi ! Mieux que toi ! Mais c’est avec toi que je veux me marier. » Lui voit plus loin que la beauté. Comme il l’explique au réalisateur :
si ma femme est illettrée comme moi, quand on aura des enfants, qui aidera les enfants à faire les devoirs ? Je ne sais pas lire c’est pourquoi je dois trouver quelqu’un avec de l’éducation et aussi sociable, qui sait lire et écrire pour que l’un des deux puisse aider les enfants avec les devoirs et avec tous les examens. Si tous les deux nous étions analphabètes, la vie serait impossible !
Encore une pensée subversive et une réflexion qui vise à briser le cercle infernal de la pauvreté, en l’occurrence ici la pauvreté culturelle.
Hossein insiste et insiste encore auprès de Tahereh qui refuse de le regarder et ne lui répond rien. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a du bagou! Il est intarissable! S’il insiste tant c’est qu’il craint qu’elle ne soit pas libre de dire ce qu’elle veut et qu’elle soit prisonnière du refus de sa famille : « je veux ta réponse, pas celle de ta grand-mère ». Il lui explique en détail toutes les raisons pour lesquelles il la demande en mariage. Il lui explique comment il envisage leur vie commune. Il ne veut pas l’épouser pour qu’elle range ses chaussettes et lui fasse la cuisine. Il veut la rendre heureuse, il veut qu’elle continue à étudier et il veut participer au service. Mentalité assez peu commune pour un homme dans cette société très machiste d’autant plus dans les campagnes reculées !
Hossein ne lâche pas le morceau, il poursuit littéralement Tarereh jusqu’à cette scène finale où elle s’éloigne pour rentrer chez elle. Il hésite puis décide de la poursuivre encore, il grimpe la colline, la fameuse que le petit Ahmed avait gravi en commençant son chemin initiatique (voir Où est la maison de mon ami?). De même qu'Ahmed, Hossein a une quête, il quête le « oui » d’une jeune fille ! A son tour il gravit la colline en zig zag puis il la redescend en courant et rejoint Tarereh à travers les oliviers. Le spectateur est laissé à distance de cette scène ultime. Il n’entend plus le discours de Hossein, mais il a une vue panoramique. Il ne voit plus que les silhouettes blanches des deux jeunes gens qui ressortent sur le vert des oliviers. A travers le comportement de ces silhouettes il devine la réponse ultime de la jeune fille…
La moitié du film au moins tourne autour des discours de Hossein au sujet de ce mariage qu’il veut, de sa manière de l’envisager, de ses tentatives pour se faire entendre et pour convaincre Tareheh. Cela pourrait sembler ennuyeux, mais à travers cela, c’est tout le portrait d’une société qui est brossée.
L’histoire prend place dans la campagne profonde iranienne, au milieu du vert tendre des oliviers qui apportent beauté, douceur et poésie à ce film.
L’apparition, à un moment donné, des deux acteurs qui ont joué le rôle de Ahmed et de Mohamed dans Où est la maison de mon ami ? apporte la réponse de la quête laissée sans réponse dans Et la vie continue. Ils sont bien vivants, ils n’ont pas péri dans le tremblement de terre. Ils ont tous les deux vieilli depuis le film tourné sept ans auparavant et leur visage est marqué par l’anxiété causée par l’événement du tremblement de terre qui a ravagé la région.
Au travers des oliviers clôt la trilogie de Kokek. Cette trilogie fonctionne à la manière des poupées russes. Attention, accrochez vous pour suivre les explications ! Au travers des oliviers met en scène le réalisateur se filmant lui-même en train de réaliser le film Et la vie continue, à travers un acteur qui le représente. Ce dernier film le mettant lui aussi en scène, revenant sur les lieux du tournage du premier film de la trilogie : Où est la maison de mon ami ? La boucle est bouclée. Le réalisateur des trois films est Abbas Kiarostami, mais ce n’est pas lui que nous voyons. Il se trouve représenté de manière fictive par deux acteurs. J’espère que vous avez compris parce que je n’ai pas réussi à exprimer cela plus clairement ! Sinon il ne vous reste plus qu’à regarder les trois films pour comprendre ! Vous ne le regretterez probablement pas…