Le dernier film du cinéaste iranien Jafar Panahi étonne. On est frappé par la grande richesse du film quand on sait dans quelles conditions il a été tourné. Il est à la fois drôle, profond, puissant et parfois anxiogène. ‘Aucun Ours’, rappelle encore une fois la grandeur du cinéma iranien.


Le réalisateur Jafar Panahi, venant de Téhéran, est hébergé dans un village de la minorité azérie au nord de l'Iran, proche de la frontière avec la Turquie. N'ayant pas le droit de quitter son pays, il tourne un film à distance, par téléphone et écran interposés, dirigeant ainsi en visio les interprète et l'équipe technique qui se trouvent dans une ville turque de l'autre côté de la frontière. Ce film raconte l'histoire d'un couple qui tente d'émigrer en Europe à l'aide de faux passeports.


Ce qu’il faut dire aux personnes souhaitant découvrir le film avant de couvrir le film de louanges, c’est qu’il est très âpre, très à l’os. Le film met un certain temps à se décanter. On ne sait pas tout de suite où Panahi veut nous mener. C’est assez déroutant au début. Le film est fait avec très peu d’effets, rendus impossibles par les difficultés du tournage.


Quand Panahi tourne ‘Aucun Ours’, il a l’interdiction de travailler et de quitter le territoire. Mais le réalisateur iranien se débrouille pour tourner des films clandestinement, à l’instar du très beau ‘Taxi Téhéran’ dans lequel il se filmait en chauffeur de taxi. Dans celui-ci, Panahi se film en tant que lui-même essayant de tourner un film à distance. Pour un film tourné clandestinement, il faut saluer la construction du film. Panahi se filme donc, disais-je, en train de diriger un film à distance sur un couple qui fuit son pays pour vivre en Europe, un couple joué par les deux personnes qui ont réellement vécu l’histoire. Vous me suivez ?


Panahi joue donc de la mise-en-abime et du lien entre réalité et fiction et. Ce qui est très beau, c’est ce doute permanent qu’il y a dans le film. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui relève de la fiction ? On sait qu’il a fait un film clandestinement et à distance, celui que l’on est en train de voir. Mais s’est-il vraiment exilé au nord de l’Iran ? Quand au film filmé dans le film, les acteurs sont les vrais protagonistes de l’histoire à qui Panahi demande de rejouer leur propre histoire derrière sa caméra. On demande également au passeur de rejouer son propre rôle. Dans une scène très drôle, l’actrice refuse de continuer et engueule son cinéaste, n'acceptant plus les mensonges d'un scénario de moins en moins authentique. Entre la vérité et l’imagination, tout se brouille parfaitement.


Le réalisateur (je parle du personnage du film) tient un peu un carnet de bord de la vie du village dans lequel il vit. Il discute avec ses voisins, se promène, demande qu’on filme une noce. Mais il est surtout le témoin de la grande lassitude de vie des iraniens et des tensions qui découlent de la situation de ce pays à l’arrêt, empêtré dans des traditions d’une autre époque. Le réalisateur (toujours le personnage) est ainsi forcé de faire un serment dans le cadre d’une cérémonie d’un autre âge. Un jeune couple ne peut s’aimer car la fille a été promise à un autre. On ressent, très bien en tant que spectateur, le quotidien de ce village.


Le film est étonnamment riche en matière d’ambiance. Il y a quand même beaucoup d’humour (le réalisateur a notamment de gros problèmes de connexion internet), d’auto-dérision. Par exemple, quand Panahi découvre médusé des villageois le critiquer et l’insulter. Ou quand il se fait enguirlander par sa comédienne. Mais surtout, il y règne parfois une ambiance très anxiogène. Quand le cinéaste se retrouve proche de la frontière turque, on se croirait dans un film d’espionnage. Mais surtout, à la fin du film, il règne cette ambiance angoissante que l’on perçoit quand on ressent une menace, un danger imminent mais qu’il tarde à se matérialiser, laissant le personnage dans l'expectative.


Même si le film est rugueux, exigeant, il est tout de même assez remarquable dans sa construction et à la vue du résultat final. ‘Aucun Ours’ rappelle une énième fois la grande richesse du cinéma iranien. Avec Asghar Farhadi, Saeed Roustayi, Ali Abbasi et Panah Panahi, Jafar Panahi (père du dernier cité) nous en apprend encore davantage sur ce pays bloqué, qui n’avance plus. Mais contrairement aux autres dont l’approche est plus réaliste et clinique, Jafar Panahi se permet plus de liberté, plus d’humour et peut-être plus d’ampleur.



Noel_Astoc
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le 19 févr. 2023

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