Aurora constituait le maillon manquant dans ma découverte de cette nouvelle vague roumaine émergée il y a une petite dizaine d’année avec notamment 12h08 à l’est de Bucarest (Corneliu Porumboiu), La mort de Dante Lazarescu (du même Cristi Puiu, déjà) et 4 mois, 3 semaines et 2 jours (De Cristian Mungiu, palme d’or à Cannes). Un courant qui s’est depuis d’ailleurs quelque peu essoufflé.
A mes yeux, Aurora répond aux sublimes Mardi après noël et Policier adjectif, dans le fond comme dans la forme, même s’il me touche un peu moins, la faute essentiellement à un parti pris plus rêche et plus osé. C’était l’autopsie d’un couple en crise dans l’un, le quotidien d’un homme exerçant son métier dans l’autre, c’est ici l’errance d’un type dont on ne connaît rien, si ce n’est qu’il trimballe, outre une démarche chancelante et un regard d’une noirceur terrible, un fusil de chasse et s’apprête à s’en servir.
C’est un peu le film ultime du courant, son point de rupture comme pouvait l’être Jeanne Dielman dans le cinéma de Chantal Akerman, avant qu’elle ne se jette dans News from home. Aurora c’est donc trois heures de dissection méthodique des actions d’un homme (Joué par le réalisateur lui-même) qui erre dans Bucarest, étudie sa traversée, hésite, se cache, se reprend tout en ayant en tête un objectif bien précis. A moins qu’il ne se soit levé un matin avec ça. Rien n’est précisé. On avance à tâtons à ses côtés. On ne sait d’abord pas pourquoi on le suit lui. Puis on croit qu’il s’en va vers son suicide. Avant de comprendre qu’il est en croisade meurtrière.
On obtiendra peu de réponses ou alors il faudra se les construire. Cette abolition totale des repères crée une sensation de vertige ahurissante, sitôt que l’on accepte le voyage. J’ai beaucoup pensé à un film de Haneke, 71 fragments d’une chronologie du hasard. C’est une somme de gestes et rien d’autre. Une plongée terrifiante dans un cerveau (qui n’est autre que celui d’une société) malade. Troublant et fort.