Pour ne pas oublier

Le film est une vraie réussite, tant sur le fond que la forme : il retrace la vie d’Archaluys Mardigagnian, qui a survécu au génocide arménien (toute sa famille, dont le père élevait des vers à soie et en colorait les cocons, a péri, sauf sa petite sœur) et qui a raconté son histoire en arrivant (via la Géorgie, Saint-Pétersbourg et la Norvège), à 14 ans, aux Etats-Unis, en 1915, sous la forme d’articles puis d’un livre, « L’Arménie violée » (son prénom qui signifie « lumière du matin » a été américanisé en Aurora) à l’aide de journalistes. Cela a donné lieu à la réalisation (1919) d’un film muet, « Auction of souls » (« Ames aux enchères ») par Oscar Apfel (1878-1938) à Hollywood [produit par William Selig (1864-1948), fondateur d’un des premiers studios], où elle a joué son propre rôle (les scènes d’empalement sont remplacées par des crucifixions) et en a assuré la promotion à travers les Etats-Unis, ce qui a permis aussi de collecter, grâce à un journal, des fonds (116 millions $) pour les orphelins arméniens. Le documentaire est constitué d’archives, d’interviews d’Aurora, à la fin de sa vie, de dessins animés (intermédiaires entre la gouache et le pastel) ainsi que d’une partie (18 mn) du film qui avait disparu, retrouvée quelques mois après la mort d’Aurore (1994). Le film a le mérite de rappeler les circonstances du génocide arménien (1915-1923), à savoir la 1ère guerre mondiale où la Turquie est alliée de l’Allemagne et où le parti au pouvoir (Comité Union et Progrès), représenté au gouvernement par le triumvirat militaire des 3 Pacha, prétexte une collaboration des Arméniens avec l’ennemi russe. On y apprend que le président (1913-1921) Woodrow Wilson (1856-1924) souhaitait que l’Arménie soit sous tutelle des Etats-Unis mais le Sénat s’y est opposé. Ce n’est qu’en 2021 que les Etats-Unis devinrent le 33e pays à reconnaitre le génocide arménien (1,2 million de morts selon les historiens occidentaux).