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Autonomes
5.7
Autonomes

Documentaire de François Bégaudeau (2020)

C’est dans une certaine discrétion géographique, enclavé entre la Bretagne et la Normandie, que François Bégaudeau semble avoir trouvé sa place pour réaliser son nouveau film documentaire. Autonomes, comme le « s » de son titre l’indique, est une archipel d’initiatives qu’orchestrent des Mayennais : sourciers, maraîchers, bonnes sœurs, organismes associatifs, magnétiseurs, chamanes, ruraux, néo-ruraux. Le montage, épisodique et lent, éprouve son spectateur par un sujet pluriel et distancé. Pour autant il n’ouvre non pas un dialogue irréconciliable ou absurde, mais bien un monologue de l’autonomie.


Le documentariste adopte le point de vue de l'observateur curieux, dans un coin, de celui qui veut apprendre d'autrui, des humains en action, de leur organisation. C'est là qu'on les voit le mieux faire société, les humains en action. Ils prennent soin d'eux, entre eux. Ils choisissent leur vie, leur société, leur organisme. François Bégaudeau n’idéalise pas la vie de ces gens, il les donne à voir, il se les donne à voir. Il laisse vivre ses personnages et son récit. Il ne filme pas tant des portraits que des instantanés. Ainsi il ne juge pas son interlocuteur, mais le surprend, et du même coup se surprend en lui-même. Il montre des gens qui, en faisant, ne se sont pas posé la question de leur propre image, qui n’ont pas encore prit ce pas de côté sur leurs travaux. Il montre des gens qui actent, qui vivent dans leur vrai. De ceux-là il y a beaucoup à apprendre car ils sont ceux qui ont le plus à offrir. Là est bien l’intelligence du documentariste, qui repère ceux qui deviendront ses personnages, et les révèle dans un récit qui lui est propre. Par ailleurs, on ressent une proximité et une honnêteté du discours toute réfléchie, en cela qu'il «dé-mondialise» le documentaire. Il s'éloigne du docu-voyage - qui nous dépasse rapidement, et dont au final les grands enjeux ne concernent plus personne -, pour localiser son film, géographiquement, à une ampleur humaine.


Il y aurait une légitimité des petits peuples de France... Et oui ! Et à tous les perplexes, le fermier néorural répond : « C’est pas parce qu’on est des charlots qu’on n’a pas le droit à notre lopin de terre pour gagner notre vie. »


Tous les personnages ont un lien au spirituel, fil rouge inattendu du film. La caméra suit les gestes et ancre ce mysticisme dans le concret de la pratique. En cela, il se lit davantage comme une connexion à la nature et aux éléments, qu’en terme de religieux – dogmatisé et raisonné par l’écrit –. Le sourcier manipule la baguette et le pendule ; le maraîcher entre en connexion avec lui-même en travaillant le végétal ; le magnétiseur gesticule pour faciliter la naissance d'un veau ; le chamane monte son tipi de cérémonie et frappe son tambour ; même les sœurs chrétiennes sont montrées en apicultrices méditantes. Une sagesse ésotérique populaire, sensiblement holistique, qui titillera peut-être les plus scientistes d'entre nous, puisque amenée très abruptement, sans explication ou introduction. En réalité le film ne montre pas tant des citoyens à la dérive (sectaires ou autre) que des citoyens détachés de la représentation majoritaire, et (re)connectés aux éléments de leur terre. Si spiritualité il y a, elle est bien païenne - de paysan, de pays -.


« On n’est pas des anges. On ne peut pas vivre de la méditation. Il faut du concret. Il faut le travail », nous dit une religieuse.
Le film est en méditation. Il s’enivre de gestes et de paroles – définitivement un film spirituel –. Il introduit l’idée que le travail, s’il retrouve une connexion mystique et physique à la nature, au vivant, à soi, est une méditation qui nourrit. Loin de l’aliénation au travail, ou de l’uberisation de nos villes qui ne manquent matériellement de rien, Camille, seul personnage fictif du film, nous fait du coude : « Le besoin ça rend efficace, intelligent. ». Le documentaire lui-même semble s'imposer cette loi, en méditant ses sujets, en s'attardant sur des gestes et des paroles.


Il faudra passer au-delà du rythme et du montage déconcertants, pour un public habitué par ailleurs à être davantage informé sur le sujet. C'est un film dont les thématiques (autonomie, écologie, néo-ruralisme, etc.) attirent des attentes certaines à une audience de plus en plus renseignée, mais qui ne répond à aucune d'elles. Il n'informe pas et ne motive en rien à l'autonomie. Le titre (et le sous-titre "L'autonomie c'est choisir sa dépendance") en trompera sans doute beaucoup. On verrait presque chez le réalisateur de la complaisance dans son "regard qui ne s’interpose pas", et dans un désir palpable de création d’un cinéma guérilla mayennais. C'est une chose de donner le temps de l'observation, c'en est une autre d'articuler un propos sensible. Et c’est sans doute là que le bât blesse. La méthode filmique de la "caméra neutre qui prend son temps", est en théorie toujours censée être plus humaine, là où elle se retrouve – souvent par zèle théorique – trop froide. Ici, le montage ne s’encombre pas de plans d’illustrations, de plans de coupes ou de transitions. Les séquences se suivent par blocs longs, alternés par la fiction subtilement drolatique et trompeuse du survivaliste Camille. Autonomes choisit bien ses sujets mais les recrache parfois trop abruptement au spectateur. En cela, le rythme (lent), le montage (épuré), la photographie (« shaky cam » numérique), l'humour (mockumentaire), le comédien (l’unique Alexandre Constant), manquent de sensibilité. Un froid théorique, qu'on sent même parfois sarcastique, qui nuit à la lecture du film, et qui fait qu'aucun attachement ne se fait. Aucun attachement aux personnages, aux corps, aux décors, ou à ce qui est dit.


L'objet filmique reste malgré tout une matière intrigante en cela qu’il tâtonne et s’essaye. Il est à prendre dans sa simplicité, dans ce qu’il s’étonne et ce qu’il observe de la vie de ces Mayennais. On ne sait pas si François Bégaudeau a quelque chose à nous dire, mais ses personnages, eux, oui. Ils nous font, indirectement, nous poser des questions en tant que spectateurs, sur les solutions à employer dans nos propres régions, et de surcroît, détournent les questions passives (voyons ce qui se fait) et introduisent l'actif (faisons ce qui peut se faire). La Mayenne ne se retrouvant pas tant pionnière malgré elle, que preuve appuyée de la faisabilité de l'acte résistant ; les personnages ne sont plus militants (qui quémandent par obsession) mais activistes (qui construisent par obsession). François Bégaudeau, documentariste en réflexion et en apprentissage, fait du politique en ce qu’il montre : des corps animés qui s’organisent. Il maîtrise sa politique, moins la sensation filmique. Pour être plus précis, l'expérience de visionnage souffre pour l'instant trop du zèle de forme de son auteur, et d'un ton étrangement neutre. La partie fictionnelle s’essouffle en ne sachant pas quand et comment s'effacer. Le lien de fond entre les personnages réels n'est pas évident, et ne rend pas plus évident l'introduction d'un personnage fictif - qui est vécu in fine comme une trahison -. L'équilibre juste d'un discours plus parlant, aurait sûrement pu être trouvé dans un format plus court, et une relation aux sujets plus sincère.


Fondamentalement anarchiste – on connaît les obsessions de l’auteur –, le film répond aux questionnements libertaires de toujours : oui, si le citoyen se désintéresse, au moins un peu, de l’État et ses conventions, il se consacre alors à entretenir une entraide prosociale, à s’occuper de sa santé physique, mentale et énergétique. Il se cale sur le rythme de l'eau, des plantes et des animaux. Il fait société, il établit un réseau, un fonctionnement. Il construit, il fait. Surtout il n’est plus seul : Ils sont autonomeS.

FlorianMorel
5
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le 26 oct. 2021

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Florian Morel

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