Tenet devait remplir les salles vidées par le peuple malade. Un peuple qui a appris à vivre avec un masque sur la gueule et à se méfier du contact avec l’autre. Définitivement un peuple malade donc. C’était la mission des frères Warner (distributeur international du film). Ça s’est bien planté et on ne peut pas vraiment en être désolé.
Au début Christopher Nolan c’était un petit nouveau chez les Grands, des idées plein la tête et une ambition toute particulière. Toujours accompagné de son frère Jonathan au scénario, Christopher avait l’intention audacieuse de repenser le cinéma hollywoodien, de l’amener dans ses retranchements. Son ambition était de raconter des histoires humaines et plusqu’humaines, lourdes et complexes, sérieuses toujours, dans un style épuré et réaliste, avec les moyens des plus gros blockbusters. Il inventera d’une certaine manière le cinéma hollywoodien des années 2010 (scénarios en général plus sombres, plus conceptuels et complexes). Alors est-ce que la recette fonctionne toujours 10 ans plus tard ?
Si vous n’avez pas vu Tenet voilà ce qu’il vous faut savoir.
Le concept de « voyage dans le temps » (même si ce n’est pas vraiment de cela dont il s’agit) vous n’allez probablement pas le comprendre, et pour cause il est écrit par un scénariste qui a décidé de ne pas vous l’expliquer. La présentation a lieu dans un labo improbable blanc immaculé (on pense au sous-terrain de Bruce Wayne dans The dark knight et à beaucoup d’autres séquences d’explication de ses films. Dieu sait qu’il y en a !), et durera le temps qu’il faut pour que vous compreniez qu’il y a bien quelque chose à comprendre mais pas suffisamment pour vous l’expliquer. La scientifique porte une blouse. Elle vous dit qu’il suffit de tendre la main en y croyant très fort. Et voilà ça fait la blague : vous avez remonté le temps. Croyez-y car tout le récit qui suit s’appuie là-dessus.
À cela la scientifique en blouse nous répond : « Don’t try to understand it. Feel it ». L’expérience de la compréhension serait devenue plus importante que la compréhension elle-même… Bien essayé, seulement l’idée de la compréhension, en tant qu’elle se révèle en expérience visuelle et sensorielle pure, et qui s’affranchit du comment et du pourquoi dans un blockbuster qui se veut à inspiration scientifique (et donc qui fétichise le comment et le pourquoi), n’est que l’évanouissement inévitable du scénario au profit du spectaculaire.
Nolan nous prend-il pour des cons donc ? Question légitime s’il en est.
Là où l’on acceptait la figure de style dans un Prestige, un Memento, ou un Inception (ça commençait à devenir redondant dans Interstellar), la blague commence sérieusement à durer trop longtemps. Un réalisateur de thriller psychologique est bon quand il se sert de l’action du thriller à bon escient à savoir comme prétexte à aborder des thématiques psychologiques qui le touchent et mènent finalement à la diégèse du drame. On croit au thriller psychologique si l’émotion prend à un moment précis le pas sur le concept. Le concept rend l’idée inventive et visionnaire, l’émotion fait le cinéma. L’amour de la diégèse, du concept, du précepte, du principe au sens scientifique (traduction de « tenet » en anglais) ne suffit pas. L’altérer d’un américanisme froid et d’une violence trop riche ne l’arrange pas. Là où le réalisateur a su dans le passé appliquer cette méthode avec brio il s’égosille ici pendant 2h30 (c’est long !) dans un cinéma pompeux, méprisant même, gadget parfois, ennuyeux souvent. Ses personnages sont froids : ne rien savoir d’eux c’est ne rien comprendre d’eux ; la compassion pour ces êtres humains qui vivent intensément tellement de situations dramatiques est au niveau zéro. Au final même son traitement de la question du temps n’est que sensationnaliste. Ce thriller n’a de psychologique que notre prise de tête à essayer de le comprendre.
Nolan reprend les codes de Nolan sans le talent de Nolan : Tenet a son titre mononyme énigmatique et sa typographie nolanienne homomorphe, sa séquence avec Michael Caine (Sir Michael Crosby/Alfred/Cutter/P. Brand… Qui saurait faire la différence psychologique et physiologique entre ces personnages ?), ses blagues malignes mais pas drôles de fin de dialogue (soulignées par un sourire complice), ses personnages en costard, son sérieux et son premier degré maladif, et cette impression que tout ce que l’on voit est contrôlé, contrôlé par un metteur en scène qui nous mène en bateau vers une histoire dans laquelle nous ne sommes pas invité, car nous ne serions de toutes les manières pas à la hauteur, physiquement et psychologiquement.
Cher M. Nolan, on a vu le pire ces derniers mois, votre film n’aura pas été à la hauteur. Il semblerait que vous n’ayez pas compris que le peuple a, pour sauver son cinéma, davantage besoin d’un Adieu les cons (Albert Dupontel) que d’un Tenet qui nous méprise du haut de son savoir contrôlé.
Nous sommes les cons de Nolan, et Nolan est le con de lui-même. Alors… adieu les cons ?