Pour le public français, la promotion en cours de TITANE donne à voir : body-horror, expérimental pop-techno-arty, et plus récemment Palme d'Or. Si les deux premiers auraient suffi à faire oublier le film à une grande partie de ce public avant sa sortie, le prix de Cannes ramènera sans doute quelques curieux à essayer de comprendre la dernière incarnation de la présupposée élite du cinéma actuel. Plus forte sans doute en sera leur déception.
Il est palpable depuis un certain temps que Cannes tente de retrouver le nouveau PULP FICTION de la croisette. Le nouvel artiste qui sort de nulle part, qui choque, qui divise, qui fait croire à l'art sans borne social, celui qui casse les règles, qui va trop loin - tout est à lire avec de grands guillemets -. On s'accorde à dire que la Palme d'Or de 1994 a marqué parce qu'elle a surpris. On disait ne pas s'attendre à ce que l'élite cannoise reconnaisse un talent à une réalisation si crue, si déroutante, si populaire et si jeune. Déjà, était-ce vraiment tout cela Tarantino ? Il serait sage d'apprendre à se détacher de l'influence cannoise et de saisir que même si la croisette est ébranlée et satisfaite, un film n'en devient pas pour autant une œuvre aboutie et admirable. Le réalisateur américain a joué avec les codes, se les ai approprié, et y a mis des paillettes (héritage du cinéma Bis), mais n'a certainement jamais cassé les codes. Cela a certes suffit à marquer Cannes, mais ça n'a rien changé au fait que Tarantino n'a toujours initialement étourdi que le bourgeois ou l'étudiant en cinéma (ce qui sans doute se rejoint ?). Pour autant il ne ment pas, il est juste trop souvent analysé par des cinéphiles complaisants ou des adeptes du cool - on se permettra de douter du sérieux des deux. En réalité il ne déstabilise pas, il exalte. Ses films se consomment et s'apprécient dans l'immédiat, ils sont de ces objets de consommation suffisamment malins qu'ils n'en sont (presque) plus grotesques. Quoi qu'il en soit, juillet 2021, ça y est, le Festival tient enfin son retour de la Palme du petit jeune qui choque par le genre, ils n'allaient pas la laisser passer, nous non plus.
Julia Ducournau est de ces profils qui ne savent que trop bien se trahir dans leur tentative d'assimilation. Issue de grandes écoles intellectuelles parisiennes, incarnant les combats sociétaux bien vus du moment (collectif 50/50 etc.), Ducournau n'est pas un monstre, elle aime les créer à son image. Elle aime leur chirurgie : les disséquer, les fabriquer et les éventrer au public. Elle aime les imaginer par le prisme de ses fantasmes. Ce qui compte, d'après ses propres mots, c'est que l'on soit "plus inclusif et plus fluide", joli glissement linguistique. Ce qui compte c'est que la petite folie de Ducournau soit acceptée et applaudie par son milieu résolument transhumaniste. En dehors de ça, sans doute qu'une partie - la moins exigeante - de la "communauté" horrifique appréciera son œuvre, mais ce sera certainement beaucoup plus pour l'idée même "qu'un tel film puisse exister en France" que pour le film en lui-même - marginalisation maladive du film de genre : on le déplore forcément, mais aimer le genre c'est aussi se méfier de qui le fait -.
En sommes ceux qui sauront s'arrêter au simulacre du "choc" (essentiellement visuel) sauront ne pas voir qu'il n'y a rien à en voir de plus. La réalisatrice s'impose elle-même en mécanophile (amour de la machine), elle aime le gore chirurgical froid qui ne se cristallise jamais en névrose émotionnelle claire, celui qui ne ressent rien et qui ne signifie rien - sans doute que les discussions de table chez les Ducournau, médecins spécialisés, ont banalisé le corps et sa dissection, et ont fait croire à la jeune Julia à une éventuelle mythologie future du transhumain non-genré, ce qu'elle appellera plus tard "ses monstres", mais qui ne sont dans son film que des créatures témoignant d'un monde psychologiquement et socialement irréel (qui n'ont jamais autant refuser le rejet mais se sont si peu inclut dans une crédibilité sociale) -. Que ce soit dit, passé au-delà du physique (les séquences s'enchaînent d'ailleurs toutes plutôt au début du film, comme un plaisir narcissique à vouloir choquer avant même d'essayer de raconter une histoire), ce film n'a de choquant que sa caricature constante et souvent hilarante. On notera notamment un Lindon qui ne sait plus quoi faire pour se prouver bon acteur et bon prolo - et qui au passage fait passer les pompiers pour des malades désespérés, drogués et autoritaires - : ça gueule fort, ça sanglote, ça sort les muscles et ça sert les fesses, vraiment quel acteur !
Passé les références à Cronenberg, Carpenter (Christine), Tarantino ou le Christ lui-même, qui feront couler l'encre de ceux qui auront eu l'impression d'y voir quelque chose de maitrisé, le film a une dialectique proche du néant. Triste constat mais peu surprenant, on se permettra d'émettre l'éventualité qu'une scénariste/réalisatrice comme Julia Ducournau n'ai finalement que bien peu de choses à raconter. La khâgneuse qui passe par Sorbonne-Paris IV et la Fémis, ne raconte l'horreur que par le spectaculaire. L'entre-soi arrogant de TITANE est plus dérangeant que ses scènes pseudo-horrifiques grossières.
Il est finalement toujours amère de se rendre compte à quel point l'industrie du cinéma, fortement aristocratique, ne fait des films que pour elle-même, pour se faire vibrer - en règle général lorsqu'elle produit des œuvres "populaires" il s'agit d'avantage d'un besoin de remplir les caisses -. Ces films ne choquent que le bourgeois qui ne sait que trop s'humilier en bêtise et rabaisser son exigence quand ça l'arrange. Une jeune fille qui ne sait pas s'épiler le maillot et qui se tire les poils tant qu'elle peut dans GRAVE, une autre dans TITANE qui découvre l'amour lesbien et tente d'arracher du bout des tétons de Garance Millier un piercing... Voilà tout ce avec quoi est capable de jouer Julia Ducournau ; elle n'a rien d'autre en stock ! C'est bête et basique, sans profondeur. Parce que ça suffit à choquer ses copin(e)s ça devrait suffire à faire sens.
Le film et sa metteuse en scène aiment leurs propres idées et les étirent tant qu'ils peuvent. Fort heureusement, et comme beaucoup de réalisateurs et réalisatrices "du moment", on l'oubliera vite. Faire entrer les monstres... On ne demande que ça ; l'époque y serait même propice. Encore faut-il s'entendre sur ceux que sont ces monstres. Viendront-ils de l'imagination d'une jeune citadine branchée ou du cœur d'écartés sociaux indignés ? Si l'on fait rentrer les monstres dans votre aristocratie sécurisante Mme.Ducournau, vous ne resterez sûrement pas. Les monstres seront vindicatifs ou ne seront pas, et ils ne viendront certainement pas de chez vous ; puisqu'il n'est inconnu à personne qu'il ne rentrera de monstre dans votre milieu que ceux que vous voulez bien considérer. Les monstres sont les employés de notre monstruosité. Ils sont la projection nue de nos lois, de nos codes, et non pas le faire-valoir cathartique d'une artiste en quête d'exostisme. Ils sont du tordu ce qu'il y a de plus sain, car formidablement révélateurs de leur créateur. En cela ils sont bien vos monstres et non les monstres. La nuance change tout. Ne nous méprenons pas sur les "combats" de ceux qui sont en place. Ils maitrisent souvent la langue mais n'ont jamais la subtilité et le talent requis à la cohérence des discours : ils se révèlent toujours en se croyant légitimes de tout sujet.