Autopsie d'un meurtre se présente surtout comme l'analyse minutieuse d'un procès fondé sur l'examen objectif des circonstances et des motivations, car on s'aperçoit vite que le sort de l'accusé n'a qu'une importance très relative dans ces joutes oratoires au cours desquelles s'affrontent un avocat et un procureur, apparemment peu soucieux de connaître la vérité. C'est ce qui est étonnant dans ce sujet, c'est qu'on ne sait jamais où est la vérité.
Il y a un problème psychologique et moral évident, puisqu'on a un lieutenant de l'armée, Frederick Manion qui a tué un type ayant violé sa femme Laura ; or ce militaire est cynique et peu sympathique, il semble cacher des éléments, sans parler de son état mental énigmatique. Son crime a-il été une impulsion ou une préméditation ? Et Laura a-t-elle été vraiment violée ? Son attitude parfois provocante dans ses postures et ses tenues semble cacher la mentalité d'une belle salope. Le doute s'installe constamment, le spectateur ne sait plus qui ou quoi croire.
Preminger veut montrer comment fonctionne la justice, c'est une charge impitoyable contre une certaine justice américaine, on le voit à travers les duels que se livrent avocat et procureur qui n'arrêtent pas de se provoquer en utilisant toutes les ressources de la loi, toutes les subtilités juridiques possibles et toutes les astuces du métier. Quand j'avais vu ce film étant adolescent, je n'y comprenais pas grand chose, il faut avoir de l'expérience concernant le fonctionnement de certaines lois américaines ; depuis, j'ai vu bien des films de procès à tel point que j'ai l'impression d'en connaître un rayon sur le fonctionnement de cette justice si différente de la nôtre.
Ce qui est remarquable, c'est que Preminger s'amuse à nous conduire sur de multiples fausses pistes, chaque révélation y est contrebalancée par un nouveau fait ardu, si bien qu'on est amené à s'interroger sur la culpabilité de Manion et de Laura, et sur le rôle de l'avocat qui risque de faire remettre en liberté un criminel ; tout le film tourne autour d'un impossible aveu.
Je crois que c'est ce film qui conditionnera la plupart des films de procès qui suivront, on y voit en effet tout l'arsenal juridique des tribunaux américains : dépositions contradictoires des témoins, défilé des experts, preuves tour à tour accablantes ou ambiguës, joutes oratoires, coups d'éclat, témoins imprévus etc... A noter qu'à sa sortie, le film fut accusé d'obscènité car le public US toujours aussi pudibond, y était outré parce qu'il était longuement question d'un slip de femme appartenant à la victime durant les débats.
Au niveau de l'interprétation, on a un James Stewart sensationnel dans un rôle d'avocat rusé et gouailleur, il est bien entouré par un casting de qualité avec des acteurs encore en seconds rôles mais qui grimperont ensuite d'un cran, notamment George C. Scott dans le rôle du procureur se montre très brillant et intimidant, Ben Gazzara entretient une ambiguïté latente sur son personnage de Manion, Lee Remick se montre sexy, alors qu'elle ne retrouvera que très rarement ce type de rôle, on y aperçoit Murray Hamilton en barman antipathique, et Arthur O'Connell dans un rôle assez peu utile mais attachant. Preminger signe donc un film qui garde jusqu'au bout son ambiguïté, et qui malgré sa longueur, est passionnant à suivre sans aucun ennui.