Ava a 13 ans, elle vit avec sa mère et sa petite soeur au bord de la mer et profite de ses vacances lorsqu’elle apprend qu’elle va perdre la vue plus vite au prévu. Alors qu’elle devient aveugle dans l’obscurité, l’adolescente qui décide alors de se rebeller contre le monde entier, s’éprend d’un jeune gitan et son chien…


Pour son premier long-métrage, gagnant du prix SACD de la Semaine de la Critique au 70ème Festival de Cannes, Léa Mysius a choisi d’écrire et réaliser l’histoire d’une jeune adolescente, à un âge un peu ingrat, qui peut manquer cruellement de représentations justes au cinéma. Ici, tout est centré autour de l’âge de l’héroïne, ses pérégrinations sont, au delà de sa cécité naissante, toujours très liées aux tourments de l’adolescence, abordés sans fausse pudeur. Le film commence par présenter une parfaite reconstitution d’un univers familial étouffant, avec un mère célibataire, qui se veut confidente mais qui parvient davantage à être gênante. En s’attardant sur de petits moments comme celui où Maud se met nue pour prendre sa douche et examine ses rides devant sa fille, mal à l’aise, Léa Mysisus tape dans l’essence des relations familiales, transmet le dégoût des corps que ressent Ava au monde. Parce qu’à 13 ans, Ava s’aime comme elle se déteste : elle se tient un peu voutée, tire sur son maillot de bain une pièce, porte un affreux short taille basse, mais apprend aussi à utiliser le potentiel de séduction de son corps qu’elle accepte petit-à-petit, au fil de son épanouissement. On doit beaucoup aux actrices, la révélation Noée Abita (Ava, son premier rôle) offre une posture intéressante et un jeu tout en finesse, que ce soit au niveau du regard ou de la voix. Si on devine quelque fois face à son visage qu’elle n’a plus tout à fait 13 ans (mettre une véritable actrice de 13 ans dans ce rôle aurait été quelque peu difficile et inconscient), elle convint totalement grâce à un travail d’une finesse extraordinaire, autant sur le corps que sur les émotions. Quant à Maud, Laure Calamy (qu’on aura déjà vu dans des rôles secondaires dans Victoria ou Rester Vertical), elle est d’un naturel désarmant. Par ses scènes bien senties, Mysisus parvient à nous offrir une double vision du personnage : tantôt femme au sourire charmant, appréciée même par un homme plus jeune, tantôt mère à la chair envahissante, figure flétrie et impudique aux yeux d’Ava. Le duo mère-fille fonctionne également à merveille dans les scènes de dialogues, grâce à une alchimie naturelle entre les deux actrices.


La nudité a une valeur particulière dans le film. Si elle n’est pas toujours amenée avec grande subtilité, elle finit par imposer son caractère essentiel. C’est d’abord une nudité de combat, une nudité qui place Ava face à ce qu’elle déteste, face à une faiblesse, face à un nouvel espace intime aussi, que sa mère brise sans craintes. Ca devient ensuite une nudité libre, une nudité qu’elle se réapproprie dans sa quête de rébellion, une nudité qu’elle utilise pour satisfaire ses désirs nouveaux. Et l’ensemble est finalement relativement sain, la réalisatrice conserve l’esprit froid et réfléchit à ce qu’elle montre.


Pour Ava, perdre la vue c’est un peu la fin du monde. Le film est empreint, dès son départ, d’une très forte ambiance crépusculaire, que ce soit à travers la photographie (pellicule, gros grain, couleurs saturés) ou les sujets filmés. La plage grouillant de monde, dans un tableau sans cynisme apparent mais qui rappelle tout de même par ses plans le travail photographique de Martin Parr, est traversée par un chien noir auquel personne ne fait attention, une sorte de fantôme annonciateur de l’apocalypse (dans un registre plus léger, il s’agit de la Palme dog 2017). Ce parallèle d’une monde du fin imminente inséminée dans le moindre objet du quotidien fonctionne d’autant plus qu’il est totalement assumé, devenant un sujet de blague d’un garçon du groupe de char voile, pour effrayer la jeune fille. Il y a, enfin, une certaine évolution visuelle, le orange de la plage se transforme en un bleu davantage onirique et reposant. Sur la fin de son oeuvre, Léa Mysius joue habillement avec le mysticisme du mariage, l’image fantasque de la mariée dans sa robe, tout en conservant rigoureusement le réalisme mis en place. C’est ce qui est sans doute la plus grande qualité d’Ava : présenter le point de vue fantasque et illusionné d’une adolescence tout en parvenant à s’en détacher suffisamment pour ne pas ignorer sa naïveté et la réalité des faits. On notera également le traitement des personnages secondaires qui, bien que tous perçus uniquement par le prisme de l’héroïne, parviennent à exister totalement.


C’est peut-être quelque chose qu’on perd brièvement quand le film se la joue Balade Sauvage. Les petits délits commis par Ava, qui se veulent presque être la scène clef, tombent un peu à l’eau par un surplus de « cool » un peu trop recherché pour être honnête. C’est aussi quelque chose qui n’apparaît pas dans la conclusion mais qui s’explique par la stricte volonté de la réalisatrice, qui semble être de filmer avant tout l’épanouissement de son héroïne, de faire apparaître un sourire sincère sur son visage renfermé. A ce propos, la réserve constante et la haine envers le monde du personnage sont parfois un peu trop démontré par les dialogues, brisant la finesse pourtant consciemment mise en place : il n’est pas nécessaire d’entendre la protagoniste constater sa méchanceté pour savoir qu’elle l’est – un trait de caractère par ailleurs un peu trop appuyé. Ces grosses lignes n’obstruent pas réellement la qualité du film mais, lorsqu’elles figurent dans les moments les moins rythmés, peuvent agacer, bien qu’elles restent tout à fait minoritaires et, on l’espère, se justifient par le statut de « premier long-métrage ». Le reste et la majorité du film retentit d’ailleurs avec davantage de sincérité, nécessaire pour dépeindre un portrait aussi complexe.


Ava est aussi l’histoire d’un saut dans l’inconnu, celui d’une culture différente de la sienne, celui vers les premières fois en tout genre, un inconnu qui attire la jeune fille, d’abord de façon physique à travers le personnage de Juan, puis mental à travers ses choix. On retiendra, sur la fin, une scène fabuleuse, au suspens digne d’un véritable thriller, pendant laquelle tout le processus d’empathie au personnage mis en place avec plus ou moins de succès depuis le début du film fait effet. Ava bascule presque dans l’horreur tandis qu’il s’affranchit, paradoxalement et créant une splendide oxymore cinématographique, de son côté crépusculaire. Au contraire, l’héroïne s’en va vers un jour nouveau, celui d’une ère adulte, clôturant ainsi le voyage du personnage comme l’œuvre avec brio.


Il est rare de voir des premiers long-métrages aussi aboutis qu’Ava. Léa Mysius frappe fort, à travers l’histoire et le portrait d’une adolescente, transcendant les genres cinématographiques et proposant une expérience intéressante sur un bon nombre de points, aussi psychologiques que visuels. Ôde audacieuse aux divagations des perceptions d’adolescente, Ava explore toutes ses pistes. On attend déjà avec impatience le prochain projet de la réalisatrice qui saura se trouver une belle et unique place dans le paysage du cinéma français.

mnfrankenstein
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le 14 sept. 2017

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