--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au seizième épisode de la septième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/les_petites_sirenes/3094904?page=1
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---
Les sirènes continuent de se cacher dans les recoins les plus inattendus du cinéma. Ce soir, c'est en pleine forme que je la retrouve, entre les mains des frères Coen, interprétée par Scarlett Johanson. D'ailleurs maintenant que j'y pense, c'est bien la première fois ce mois que son monstre est interprété par une star. Curieux. Des stars il y en a eu pourtant, des Kirk Douglas, des Tom Hanks, des Colin Farrell, des Ryan Gosling, j'ai été servie. Des femmes stars déjà, le choix a été plus limité. On s'est cantonné à une Anna May Wong sublime mais anecdotique dans Peter Pan, et à une Julia Roberts probablement dans le rôle de sa vie dans Hook. Je ne dis pas qu'elles n'étaient pas de qualité, je dis simplement qu'elles étaient peu. Et surtout, que malgré la thématique, elles n'avaient jamais été dans le rôle de la sirène. Avé, César ce soir serait donc le premier film de l'histoire à donner à un rôle titre un personnage de sirène. La sirène n'est peut-être pas une vraie sirène, mais on pardonnera bien cette petite faiblesse à Scarlett Johanson. Surtout quand elle vient accompagnée d'une armée de danseuses de natation synchronisée, et de ses copines Frances MacDormand et Tilda Swinton (Tilda je t'aime). Face à ce trio, Georges Clooney passe pour plutôt anecdotique.
Pour rassembler cette jolie brochette, les frères Coen s'appuient sur un sujet qui a tendance à me faire grincer des dents avant même le visionnage du film : le cinéma. C'est un sujet que j'ai en horreur, car il me donne toujours la désagréable impression que le scénariste du film n'a pas su regarder plus loin que sa petite personne, et traite d'un sujet qui est son quotidien, sans manquer bien sûr le joli happy-end mélodramatique, pour lesquels les critiques s'empresseront d'écrire « une déclaration d'amour au cinéma ». Beurk. Bien sûr, comme je visionne le film en 2023, je sors en plus d'une indigeste série de films de trois heures traitant tous du même thème, et le sujet me donne la nausée à sa simple évocation. Il fallait vraiment que j'ai envie de ma sirène de ce soir (et de Tilda Swinton) pour m'infliger celui des frères Coen.
Et comme d'habitude, c'est la surprise quotidienne du mois-monstre. J'ai passé un bon moment. Je n'irai pas hurler au génie non plus, surtout que (shame on me), j'ai tendance à ne pas trop apprécier les frères Coen, que je trouve un peu bobo, faussement cools et plutôt chiants. Alors avec un sujet pareil, le simple fait que je n'ai pas rage quit le film au moment ou Scarlett Johanson rage quit sa queue de sirène, ça tient du miracle. Que je n'y ai pas même songé, et qu'en plus je n'ai pas un souvenir douloureux du visionnage, voilà une situation encore plus improbable. Non, le film est intéressant, j'ai souri à plusieurs reprises, et me suis même esclaffée une ou deux fois. J'ai aimé cette construction sur une journée (27 heures plus exactement), et ce schéma à intrigues multiples qui avancent parallèlement, se recoupant éventuellement. Je suis d'ailleurs assez impressionnée, car souvent ce genre de narration a tendance à me déranger, car cela me donne l'impression qu'on saute d'un film à l'autre, et qu'à la fin, on n'a pas un long-métrage, mais plusieurs court-métrages. Ici, rien de tout ça, même si certaines histoires ne se croiseront jamais, il y a une curieuse harmonie qui s'en dégage, et le passage d'une histoire à l'autre ne dégage que de l'enthousiasme. Je l'ai dit le sujet a tendance à me donner des boutons, mais ici j'ai aimé la caricature un peu grotesque des genres de l'âge d'or Hollywoodien, et me suis surprise à m'émerveiller du spectacle, que ce soit les pirouettes du western, le numéro de claquette de la comédie musicale, la grandiloquence des décors du péplum ou, meilleure scène du film, le ballet de natation synchronisée qui enrobe de paillettes une Scarlett Johanson sirène absolument délicieuse. Le tout évidemment est rendu sublime par la photographie de Roger Deakins, grand habitué des frères Coen, et magicien de la lumière. Il joue sans peine à passer de la fiction, à la fiction dans la fiction, sans confusion, sans perte d'harmonie, sans jamais se séparer de la perfection graphique qui le caractérise. Il rend hommage à chaque genre, sans manquer d'être moderne et créatif, sans jamais oublier ni ses acteurs ni son sujet. Avec tous ces talents réunis ce soir, je peux pardonner à la sirène de ne pas avoir été réelle, et la remercier même de m'avoir fait voguer jusqu'à ce film.