Depuis un peu plus de 30 ans que les deux frangins ont commencé à écrire et mettre en scène leurs histoires, ils ont presque toujours oscillé entre comédies débridées et drames classieux (dont l'ironie mordante n'a d'ailleurs jamais été exclue), et le moins que l'on puisse dire est que c'est bien dans la première catégorie que les écarts (pour ne pas dire petits gadins) ont parfois été constatés. Le genre étant par nature casse-gueule, l'esprit des Coen étant si particulier, on peut assez naturellement rester à la porte de la salle d'une de leurs saillies drolatiques.
Sérieux dans la décoen
De fait, le film semble tellement compartimenté, tellement disparate, qu'il semble évident de séparer après coup ce qui plait de ce qui déçoit. Le récit emprunte tellement de parcours singuliers, séparés, explore de si nombreuses trajectoires et thématiques, qu'il y a au moins un chemin dont Ethan et Joel semblent avoir loupé l'embranchement: celui de la cohérence interne de l'ensemble. Pour une histoire racontée par des surdoués du récit située dans l'univers des faiseurs d'intrigues, on notera le paradoxe.
Paradoxe qui ne se situe pas que là: les nombreux extraits du cinéma "old fashionned" ne transpirent curieusement pas d'un amour fou des frères pour leur art chéri. La recherche de caricature étouffe sans doute ici l'émotion. Nul doute que si je ne connaissais pas le cinéma des années 50 avant lui, Avé, César ! ne me donnerait aucune envie de le découvrir.
Salade César, avé croutons
Et si on dit qu'il y a en la matière à boire et à manger on doit forcément noter les bons moments. Ils existent, et nous font encore plus regretter que tout le reste ne soit pas au diapason. Parmi eux, bien sûr, figure le débat religieux. Le sens de la mission de Mannix (personnage plein de sang-froid qui supporte la pression à show) ou la conscience politique tardive de Whitlock sont autant d'autres bonnes scènes.
Et parmi toutes celles ou l'esprit du spectateur essaie de faire décoller l'ensemble (en recollant les morceaux), là où son cœur refuse de se laisser emporter, le méta-discours sur le cinéma est lui aussi savoureux. A l'image de cette scène presque finale où Baird Whitlock donne le meilleur de lui-même, l'idée que le cinéma soit une industrie constamment ballotée et malmenée par ses histoires internes (plus ou moins secrètes) et au service d'un opium du peuple idéologisé mais dont la magie fonctionne est assez jouissive.
Enfin et surtout, la description d'humains empêtrés dans les vétilles insignifiantes de leurs quotidiens à la recherche perpétuelle d'une lumière (religieuse, politique ou artistique -à paillette-) s'imposera finalement comme le fil conducteur un peu trop ténu d'un véhicule en roue libre, un peu perdu en pleine nuit sur une route entre bord de mer et grands studios, sans panneaux indicateurs.