Hollywood, ton univers impayable… Tes starlettes capricieuses, tes jeunes premiers, tes stars ingérables et tes problèmes au kilomètre… Pour les problèmes, pas de problèmes : y’a Eddie Mannix, fixer professionnel capable de gérer en même temps et sans sourciller la grossesse secrète d’une actrice à la Esther Williams, la nouvelle carrière d’un acteur à la Audie Murphy et le kidnapping d’une star à la Clark Gable. Le tout sur fond de menace nucléaire et de communisme à gogo (nous sommes dans les années 50, avec cinéma à l’ancienne, décors chromos et voitures rétro partout dans les rues). Les Coen c’est bien connu, c’est au choix comédie grinçante ou film noir poisseux (où ils excellent davantage, avec le trio gagnant et infernal Sang pour sang, Fargo et No country for old men).
Ce Ave, César ! s’inscrit lui dans la première catégorie, quelque part entre Le grand saut et Barton Fink, mais une comédie chez les Coen, outre cet humour à froid reconnaissable les yeux fermés, cache volontiers des aspects plus nuancés. Le film, derrière sa façade de satire hollywoodienne sophistiquée, paraît interroger quelque chose de plus intangible, de plus introspectif, travaillant clairement la question du temps (Mannix regarde très souvent sa montre, avec évidemment autant de gros plans sur ladite montre), de la religion, de la foi et de la place de l’homme au sein d’un Grand Tout pas toujours arrangeant (c’est ce que racontait déjà le grandiose A serious man) quand par exemple, à la fin, la caméra s’élève dans le ciel et y dévoile une injonction quasi divine ("behold" : voici, ou contempler).
Forcément, à trop vouloir s’avancer en embuscade, les Coen nous perdent un peu en route. Ça a l’air simple et tracé au millimètre près ; c’est larvé et tout en sinuosités, un puzzle. Coincés dans ce qui ressemble à un exercice de style paresseux enchaînant les saynètes quasi indépendantes entre elles (revisitant chacune un genre en soi de l’âge d’or des studios, du western à la comédie musicale, du mélo précieux au film aquatique en passant par le péplum), les Coen ressassent leurs obsessions en y délaissant leur singularité. Fourre-tout mais élégant, mineur mais complexe, caricatural mais mordant, Ave, César ! zigzague ainsi quitte à ne jamais vraiment emballer, et même dans ses dispositions les plus avantageuses.
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