L'amour en Denis-teinte

A ma grande surprise, j’ai plutôt apprécié le film de Claire Denis que j’allais voir en traînant les pieds. Ses principaux atouts sont sa facture ainsi que la qualité des interprétations des acteurs. Malheureusement, on est un peu laissé à la porte car les personnages sont tous assez antipathiques. On ne ressent pas d’émotions pour eux. Néanmoins, le film est à voir.

Sarah et Jean s’aiment, ils vivent ensemble depuis plusieurs années. C’est un amour qui les rend heureux et plus forts. Ils ont confiance l’un en l’autre. Le désir ne s’est jamais affadi. Un matin, Sarah croise par hasard François son ancien amant, c’est François qui lui a présenté Jean et qu’elle a quitté pour Jean sans hésiter.

Ce film est un thriller, et un thriller plutôt bien foutu. Il tient en haleine, il y a un vrai suspens. Sarah quittera-t-elle son mari ? Comment réagira-t-il ? On a par moment peur qu’il la tue. On est sans cesse à deux doigts d’une explosion de violence. Claire Denis baigne son film dans une ambiance très anxiogène avec une musique stridente assez réussie et signée Stuart Staples, par des plans serrés qui enferment les personnages, par une image assombrie.

Le film montre comment un homme est en train de tout perdre. Il sort de prison. Ses liens avec son fils sont quasiment brisés. Sa femme est une brillante journaliste, lui est sans emploi. L’ancien amant de sa femme lui propose un boulot, il devient dépendant de lui. Sa femme le quittera peut-être, et sera probablement chassé de son appartement. Il se raccroche à ce qu’il pense encore pouvoir tenir : sa femme. Mais l’on voit également réellement ce qu’est l’hésitation sentimentale, celle de l’épouse partagée entre l’homme qu’elle aime, et celui qu’elle a aimé.

Ce que j’ai vu m’a plu mais j’ai été surpris d’être autant à distance. Et j’ai fini par comprendre. Les personnages sont tous absolument antipathiques, surtout les deux hommes. On a eu d’empathie pour eux. Il m’a manqué un peu l’intériorité des personnages, pour davantage les comprendre et être ému. Par ailleurs, certains spectateurs seront peut-être désarçonnés par les dialogues rugueux, volontairement répétitifs, bavards.

Cela-dit, Claire Denis n’a pas inventé l’eau chaude. Le canevas scénaristique de la femme partagée entre deux hommes est aussi vieux que Mathusalem. Je pense notamment à l’assez récent ‘Amants’ de Nicole Garcia, autre thriller sur le même sujet. Stacy Martin, mariée à Benoît Magimel, avait pour amant Pierre Niney. La fin des deux films est d’ailleurs assez similaire. La femme ne pouvant choisir entre les deux hommes s’en libère. Chez Nicole Garcia, c’était une émancipation volontaire. Chez Claire Denis, c’est une astuce scénaristique (un peu bébête, il faut bien le reconnaitre) qui l’impose à l’héroïne. Mais chez Nicole Garcia, on avait de la sympathie pour les personnages car la réalisatrice les montrait dans leurs faiblesses mais en montrait également la beauté. Ici, on n’est dans l’opacité constante.

Claire Denis peut compter sur des interprètes parfaits. On sait Vincent Lindon capable d’incarner des hommes bourrus mais sensible et à qui tout échappe. Binoche en fait peut-être un peu trop et retombe dans un certain maniérisme d’interprétation alors qu’elle était si sobre dans le ‘Ouistreham’ d’Emmanuel Carrère. Et puis, il y a Grégoire Colin. C’est un acteur étonnant, avec une gueule, une voix.

Le film est donc plutôt bon, très bien fait mais assez dénué d’émotion. C’est assez dommage.