De l’exportation des théories malthusiennes et utilitaristes à travers l’espace

Finalement, la substance de ce Marvel ne change que très peu des sentiers battus des productions maisons ou de ce à quoi on peut s’attendre avec un tel film : humour à la gardien de la galaxie (même si dans l’ensemble, en moins mordant par rapport au premier volet, mise à part la séquence de l’invisibilité visible de Drax, où je l’avoue, j’ai souri), répliques à la Iron Man épuisées, puériles rivalités testostéronées, name dropping de héros frénétique, effets spéciaux fades et sans âme (mais bon ça doit donner de l’emploi), affrontements d’envergures aussi longs que peu stimulants, aucune conscience d’un réalisateur derrière (avec ces films on pourrait croire qu’un robot est responsable), etc. en bref, pas grand chose de réellement consistant à se mettre sous la dent. In fine, la grosse surprise est que finalement, le mélange de tous ces éléments ne donne pas forcément quelque chose de très désagréable (si tenté bien sûr que l’on abhorre pas les œuvres de super-héros), ou en tout cas qui se suit très bien (même si le départ est un peu poussif). J’ai d’ailleurs voulu vérifier si c’est moi qui ai subitement changé, mais, en regardant juste après Dr Strange, je me suis dit que non (assez naze).


Globalement, je sais par contre qu’au niveau du fond (enfin, fond, je veux parler ici de l’écriture et tout ce qui s’en rapproche) l’élément que j’ai trouvé le plus sympathique du film est ce qui a trait au « grand méchant » (vite dit !) de l’opus, Thanos.
En effet, il me semble que ce n’est pas tous les ans que l’on a affaire à une sorte de « disciple » (oui, bon, le mot est un peu fort) de Malthus dans un film de super héros, qu’on pourrait même qualifier de néo-Malthusien spatial !
Notre cher Thanos est un fervent représentant des hipsters dans la caste des méchants Marvel. Car oui, Thanos ne veut pas être le plus puissant de l’univers ou détruire toutes les planètes du système spatial. Trop hasbeen. Lui, en tant que grand défenseur de la vie poursuit le but d’assurer la survie des espèces vivantes, même si cela peut avoir comme coût quelques externalités négatives. Enfin une personne qui pense à l'avenir des êtres vivants. D'ailleurs en face, aucune propositions (!), rien à suggérer pour faire face aux difficultés pointées par Thanos. Juste de l'opposition stérile et une attitude d'effarouchement moraliste.
Pour Thanos l’eugéniste, la natalité trop importante des espèces vivantes et leur activité signent de fait leur condamnation à plus ou moins long terme. Les ressources de chaque planète n’étant pas suffisantes pour nourrir et supporter la croissance industrielle des espèces vivantes. En gros, à force d’être trop nombreux, on va tous mourir. Problématique qui résonne d’ailleurs avec l’actualité, à l’heure où l’on parle de surproductivité sur notre chère Terre.
La solution pour Thanos est simple, et les moyens drastiques, il faut mettre en place une politique eugéniste radicale, soit, supprimer sur chaque planète 50% de la population afin de recréer un équilibre harmonieux avec la nature et créer les conditions de la survie des espèces vivantes. Un but noble donc. Sacrifier une partie des populations pour assurer la survie de l’espèce à long terme. Sacrifier une partie pour sauver le tout.
On pourrait même en étant un peu tordu se dire que Thanos a dû lire les auteurs utilitaristes comme Jérémy Bentham ou Stuart Mill dans sa jeunesse (ou lire de travers peut-être). Pour faire très sommaire, on va dire qu’une des définitions de l’utilitarisme pourrait être la recherche du bonheur dans un groupe donné fondé sur un critère d’utilité (est-ce que telle ou telle chose produit plus de « bien » que de « mal », de bonheur que de souffrance au plus grand nombre ?). Le philosophe politique Michael Sandel, dans son ouvrage Justice (enfin, c’est la traduction), met en exergue un cas où peut être discuté l’idée d’utilitarisme à travers l’exemple de 4 marins échoués en 1884 dans l’océan Atlantique qui se sont sustentés en se nourrissant d’un de leur camarade (malade) afin de survivre. En tordant un peu tout ça et en extrapolant, on pourrait dire que les 3 marins qui ont survécus représentent les 50% de la populations des différentes planètes « sauvées » par Thanos, le marin cuisiné les 50% autres. Grâce à la mort du marin les espèces vivantes vont pouvoir continuer à exister dans la durée ! On peut aussi penser à ces fameux tests de psychologie sociale /philosophie morale, et notamment le plus que célèbre d'entre eux, le test du tramway où, dans plusieurs configurations, il est demandé s’il faut actionner un levier (pousser quelqu’un, etc.) afin de décider s'il est acceptable de sacrifier un minimum d’individus ou un plus grand nombre selon que la personne ait la possibilité d’agir physiquement sur le cours des événements. Thanos lui décide en tout cas d’agir personnellement et directement pour résoudre un tel dilemme. Il tire le levier sans réfléchir et avec je suis sûr, fierté et sentiment du devoir accompli.


Nonobstant l’idéologie Thanosienne de la fin justifie les moyens, on pourrait se demander si sa politique (d’ailleurs décidée unilatéralement sans accord d’organismes internationaux et concertation préalable !) n’est pas un peu simpliste et courtermiste. En effet, elle ne semble pas vraiment régler les problèmes structurels. On s’attend à ce que chaque espèce vivante continue son développement, et de manière encore plus rapide car ils ne retournent pas à l’âge de pierre et souhaite retrouver le confort perdu, ce qui amènerait Thanos à intervenir une nouvelle fois pour effectuer la même action d’épuration ! On aurait pu imaginer une politique de natalité un peu plus ambitieuse et réfléchie, comme je ne sais pas, contrôler les naissances, centraliser la production de nouveaux nés afin d’autoriser chaque année un nombre précis de naissances et mener une politique industrielle contrôlée et planifiée pour prendre en compte les ressources naturelles de chaque planète. Avec les technologies développées sur chaque planète et ses nombreux pouvoirs, il aurait pu être plus ambitieux ! Un vrai gâchis. Surtout que sa politique manquait de communication et d’information auprès de la population. On sait pourtant depuis longtemps qu'il s'avère nécessaire d’informer et de « concerter » au préalable afin de déminer d’éventuels problèmes d’acceptation d’une politique lors de sa mise en œuvre. Erreur typique du débutant non formé aux techniques de communication. Ne pas oublier d'ailleurs le précepte de Gandhi, ce que tu fais pour moi, sans moi, tu le fais contre moi !
A cause au moins de ces ceux éléments, on peut déjà parier que sur le moyen et long terme sa politique ne se déroulera pas comme prévu. Dommage.


En outre, on peut se demander si Thanos a mené une véritable étude scientifique sur laquelle s’appuyer pour confirmer sa vision du monde (ou de l’espace), ou au moins utiliser les recherches produites par la communauté scientifique spatiale. En effet, à y regarder de plus près, notre cher Thanos se base essentiellement sur une vague notion d’empirisme. Sa vision du monde semble dépendre uniquement de sa expérience propre, de son seul cas personnel. C’est la catastrophe liée à sa planète Titan qui lui a développé sa vision de l’existence (surnatalité et productivité ayant entrainé la ruine). Tout cela sans réflexivité et analyses extérieures. Ça en dit long sur le personnage, son ouverture d’esprit et ses compétences scientifiques. Même si une sorte de biais cognitif l’a poussé à faire d’un cas spécifique une généralité, on espère que Thanos a pu mettre en place des indicateurs de performance et des outils d’évaluation afin de vérifier que sa politique reste sur de bons rails et qu’elle s’avère efficace/efficiente.


Enfin, voilà, tout ça pour dire que même si le personnage est intéressant-amusant, il manque tout de même d’épaisseur. En espérant qu’il profite de sa retraite à la campagne pour réfléchir sur son action et voir comment il pourrait améliorer la situation. A suivre !

Alexis_Bourdesien
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le 17 mai 2018

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