Sur L'Adamant de Rosa Parks
Second volet du triptyque de Nicolas Philibert sur les institutions psychiatriques publiques, cet Averoes et Rosa Parks est plus ample (ne serait-ce que par sa durée) et plus apre que Sur...
le 21 avr. 2024
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Panneau central du triptyque qu’il consacre à la psychiatrie et qui renoue avec l’univers de fascination déjà approché en 1997 dans le génial La Moindre des choses, Averroès et Rosa Parks (2024) permet à Nicolas Philibert d’entrer dans le dur de la psychiatrie, après son enchanteur Sur l’Adamant (2023), à qui d’aucuns avaient pu reprocher précisément ce caractère enchanteur.
Ici, au sein de l’Hôpital Esquirol et des deux unités dont les noms donnent son titre au film, le dispositif et une équipe légère offrent à la parole la possibilité de s’épanouir, par le biais d’une série d’entretiens soignants / soignés, le plus souvent à deux, mais aussi à trois ou plus encore, lorsque l’échange prend la forme d’une réunion. Présences discrètes mais obstinées, les deux caméras, généralement en champ / contre-champ, autorisent la folie à dessiner ses méandres, ses circonvolutions, mais aussi sa rigueur, voire sa lucidité ou sa pertinence, même si celles-ci nous surprennent davantage. La durée des entretiens, leur déploiement, donnent des coups de sonde parfois assez vertigineux dans la grande déraison des résidents mais ces derniers peuvent aussi impressionner par la sagacité ou la pertinence de leurs propos, Philibert dressant alors le portrait de « fous » qui ne sont peut-être pas si « fous », ou bien pas sur toute la ligne. De fait, et délibérément, le réalisateur n’a pas porté son objectif sur les patients les plus atteints et incapables, par là-même, de consentir lucidement à participer au documentaire.
Car, au bout du compte, et constante du cinéma de Philibert, transpire de chaque plan, avec Pauline Pénichout et Katell Djian à l’image, le profond respect du cinéaste envers ces patients, on pourrait presque écrire « ses » patients, n’était qu’il n’entre pas, et pour cause, vis-à-vis d’eux, dans un rôle thérapeutique. Mais on perçoit, chez lui, aussi à travers ses choix de montage, un mouvement d’adoption, un intérêt, un questionnement, parfois même une passion qui n’ont rien à envier à ceux qui émanent des soignants. Se perçoit ainsi son désir de ne pas sanctuariser l’hôpital psychiatrique, et de laisser la vie, par le biais de ses caméras, y pénétrer librement, pour s’y faire les témoins de sa libre circulation ; ne pas non plus sacraliser la folie, en faisant d’elle une entité inapprochable, au sein d’une société qui n’a déjà que trop tendance à mettre de côté, le plus à l’écart possible, ce qui n’est pas conforme, plus viable : trop fou, trop vieux… Raison pour laquelle l’humour, en tant qu’il fait partie de la vie, n’en est pas banni, de nombreuses scènes portant à sourire, mais jamais contre les patients, toujours avec eux, voire grâce à eux, dans un mouvement d’admiration de leurs trouvailles ou de leurs audaces. L’humour ou tout aussi bien la poésie, poésie des lieux, d’un instant, d’une remarque… Autre constante du cinéma de Philibert : les ponctuations offertes par la présence du végétal. Toutes composantes qui tendent à prouver et illustrer la continuité de la vie qui, fort heureusement, ne s’arrête pas aux portes, même bien closes, de l’hôpital psychiatrique.
La vie, y compris dans sa part de protestation, de contestation, puisque la psychiatrie se trouve là questionnée comme jamais auparavant dans l’œuvre du cinéaste : critique avancée par les patients et visant les médicaments, l’organisation des soins et la durée des hospitalisations, ou les réponses apportées à l’immense détresse dans laquelle se trouvent nombre de malades. Ainsi cette réplique, mémorable, assurément destinée à devenir culte, avec le ton de sa profération, adressée au psychiatre par une patiente infiniment attachante, en mal de « câlin », et qui ne trouvera que les flammes pour lui apporter l’enlacement dont elle aurait besoin…
Face aux patients présentés par Philibert, à cette détresse qui se hurle, parfois, on ne peut se défendre de songer aux phrases d’E.M. Remarque, observant ses jeunes élèves, lors de l’expérience très fugitive d’instituteur qui sera la sienne et dont il rend compte dans son magnifique récit, Après (1931) : « […] certains d’entre eux sont éclairés d’une flamme plus vive. Voilà ceux auxquels les choses ne paraîtront pas si naturelles, dans la vie, et pour lesquels tout n’ira pas tout seul ».
Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/averroes-et-rosa-parks-film-documentaire-nicolas-philibert-avis-10069259/
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Créée
le 24 mai 2024
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