Le vieux fusil.Un paysan marocain qui élève des chèvres dans un coin désertique achète une vieille pétoire à un voisin pour flinguer les coyotes qui attaquent son troupeau.Il confie l'arme et la garde des animaux à ses deux gamins complètement cons,qui ne trouvent rien de mieux pour s'amuser que de tirer sur un car de touristes,blessant grièvement Susan Jones,une américaine venue là en vacances avec son mari Richard.Le film,construit savamment en flashbacks et flash forwards,se déploie alors entre le Maroc,le Mexique et le Japon où vivent des personnages reliés plus ou moins directement à cette histoire.Ce troisième long-métrage du mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu a comme ses autres oeuvres créé l'évènement et récolté une pluies de récompenses à travers le Monde,notamment le Prix de la Mise en Scène à Cannes.Le réalisateur s'est entouré de ses habituels compatriotes et comparses surdoués,le scénariste Guillermo Arriaga,le chef-opérateur Rodrigo Prieto et le musicien Gustavo Santaollala.Le film est généralement présenté comme une émanation de la théorie du chaos,genre battement d'aile du papillon,petites causes et grands effets,tout ce bastringue,ce qu'il n'est qu'en partie.Si on veut être objectif,il est évident que tout évènement découle d'éléments qui l'ont précédé,c'est mécanique et inévitable.Mais tout dans "Babel" ne relève pas de cette équation,hormis le séjour effectué par Yasujiro au Maroc pour chasser.L'équipée de la nounou et des enfants au Mexique ou les mésaventures de Chieko n'ont rien à voir avec la balle perdue qui a frappé Susan.Dès lors le propos parait plutôt être le mal-être généralisé envahissant une planète mondialisée,le poids de la fatalité,la façon stupide dont les choses peuvent arriver,l'injustice et les écarts de classe et surtout l'absurdité de l'existence.Le film décrit de manière pessimiste des ambiances délétères et des personnages pris au pièges de déterminismes sociaux,moraux et géographiques insolubles.Au début Inarritu esquisse des portraits et des situations assez caricaturaux.Les Américains sont des bourgeois névrosés,les Japonais des dégénérés hystériques,les Mexicains des sauvages portés sur la délinquance et les Marocains des demeurés misérables.Collection ce clichés donc mais le problème avec les clichés est qu'ils contiennent toujours leur part de vérité.Tous ces protagonistes mal dans leur peau et submergés par leur quotidien pas folichon vont laisser apparaître des failles de plus en plus béantes et sombrer dans des spirales négatives vertigineuses.Tout va mal pour eux,et ça ne fait qu'empirer.Susan et Richard forment un couple en crise mais quand sa femme se retrouve entre la vie et la mort le mari réalise la futilité de leurs différends et mesure ce qu'il risque de perdre.Chieko est sourde-muette et en plus traumatisée par le suicide de sa mère.Complètement à la dérive, elle essaie désespérément de compenser sa déprime en faisant la fête et en allumant les garçons,mais son handicap l'isole et ne fait qu'aggraver son désarroi par une intense frustration sexuelle.Les moments où le réalisateur décide de couper le son pour matérialiser la solitude de la fille sont très parlants de ce point de vue.Les Jones,comme de bons bobos californiens standards,emploient une clando mexicaine qui garde leurs deux enfants et qu'ils exploitent sans vergogne.La pauvre femme,coincée chez ses patrons avec les mômes,décide de les emmener au mariage de son fils qu'elle ne veut pas louper sans prévenir personne,ce qui va inévitablement tourner à la catastrophe.Quant aux péquenots marocains,ils survivent plus qu'ils ne vivent,presque isolés du Monde,et quand le Monde vient à eux ça vire au drame absolu.Les auteurs pointent au passage le traitement de faveur,universel pour le coup,infligé aux faibles par les autorités.Si Yasujiro et sa fille sont traités avec respect par la police japonaise,si Richard peut se permettre d'engueuler copieusement les flics marocains tandis que la blessure de Susan est médiatisée et met le Monde en émoi,il n'en va pas de même pour les fermiers arabes ou les modestes mexicains,traités avec une brutalité impitoyable.Et l'empathie n'est pas du côté où on l'attend.Les villageois aident les Jones et le jeune guide local reste à leurs côtés pendant que les autres touristes du car ne pensent qu'à se barrer et les abandonner à leur sort car ils n'ont pas envie que cet incident gâche leurs vacances.Si les stars du film Brad Pitt et Cate Blanchett sont transparents et offrent de bien pâles prestations,quelques personnalités tranchantes se signalent et portent le film,comme le mexicain Gael Garcia Bernal,qu'Inarritu avait révélé en 2000 dans "Amours chiennes", fantastique en voyou décontracté,une Elle Fanning toute petite mais dont la présence est déjà évidente en dépit d'un rôle très court,l'excellent japonais Koji Yakusho en père déstabilisé par les problèmes de sa fille adolescente jouée par une formidable Rinko Kikuchi,nominée à l'Oscar du meilleur second rôle pour sa performance bluffante de sourde-muette nympho et qui verra à la suite de ce film sa carrière décoller à l'international,elle sera notamment dans les deux "Pacific Rim",et les deux flics fort éloignés géographiquement mais aux méthodes tout aussi musclées,même si l'américain Michael Pena est plus "policé" que le marocain Driss Roukhe,qui ne fait vraiment pas dans la dentelle.

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le 26 sept. 2022

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