Accordéoniste recherche grand-mère avec Lada pour jouer la Russie nouvelle.

Alors, il y a une vieille, elle s'est occupé des enfants de tout le monde quand ils étaient plus jeunes, mais maintenant qu'elle est vieille, faible et plus ou moins inutile, on la jette chez sa soeur cadette.

Baboussia, c'est l'effritement des valeurs traditionnelles dans cette Russie post-communiste. Tout est inversé. L'homme y est veule, lâche ou soumis tandis que la femme, elle, doit tout prendre en charge. Pour preuve, Tante Tossia, notre grand-mère de service, est d'abord rejetée par le mari de sa fille, direction la soeur de Tossia, mais je l'ai déjà dit. Là, on rencontre Victor, un alcoolique (il en fallait un) notoire d'une quarantaine d'années qui vit au crochet de sa paysanne de maman édentée. C'est un incapable, mais vous vous y attendiez. On rencontre aussi Nicolas (amuseur public et conducteur de Lada émérite), qui joue le rôle de la jeune fille soupirant son malheur parce que son prince charmant en préfère une autre, die Arbeit. Plus tard, celle qui va s'occuper de placer Tossia, Liza (celle que Valia aime), se pointe avec sa longue tresse.

Après, il se trouve que Tossia peut pas rester chez sa soeur pour des raisons évidentes, alors on la trimballe en Lada dans les rues de la ville tout en cherchant un petit-enfant assez aimable pour accueillir un pruneau sec et révolu. Tossia n'a connu que le communisme, elle a travaillé pour la Patrie, qui la payait en journées de travail, cette bonne blague ; Tossia chante encore des chansons soviétiques (qui sont presque émouvantes, mais qui sont bien quand même parce que je comprends rien et que des vieilles à la voix tremblotante qui chantent un souvenir, c'est bien) ; Tossia divise en trois parts égales l'argent qu'elle a reçu pour je sais plus quoi, mais personne ne veut d'elle. Tout le monde a une raison : on avait besoin de plus d'argent, sale conne de vieille ; je peux pas te prendre, je suis personne ici et mon travail, c'est la soupe et le lavage (citation de mémoire défaillante) ; le propriétaire va nous foutre dehors.

Au-delà des explosions traditionnelles, qui vont du spectacle de l'école primaire (mais qu'est-ce qu'ils font là ?) à la démonstration de claquettes en privé, ce qu'on voit, c'est une Nouvelle-Russie, avec ses Nouveaux-Russes dont on sait rien à part qu'ils "dirigent ce pays-ci" (un truc comme ça) et qu'ils semblent vivre dans de grosses cabanes neuves. On voit que Tossia, avec ses vieilles idées, a aucune raison d'être. Le communisme est mort, tout le monde le conspue et la loyauté n'est plus un devoir. Tossia nous a élevés ? Oui, mais, mais, mais, toujours un mais. Donc voilà, portrait de la Russie renaissante, Russie hésitante, instable (la guerre, les Tchétchènes, etc), mais vagissant avec détermination à la face du monde : "Nous ne voulons plus de notre passé !" Finie, la phallocratie; finis, les camarades; finis, les champs de patate; fini, le sens de la famille. Bienvenue, femme fonceuse et travaillante qui veux se faire de l'argent. Tu es la reine de ce pays-ci, symbole du renouveau russe, qui se rit des vétustes plans quinquennaux. Voilà.

Après, je veux bien, le portrait est intéressant parce que je connais rien de la Russie. Reste cependant un léger malaise. Suis-je censé m'émouvoir du sort d'une petite vieille quand on fait exactement la même chose ici (pas que ce soit bien ou mal) ? Suis-je censé me sentir coupable de pas vraiment aimer ma grand-mère, femme qui s'assure que tout le monde ait la même quantité de bouffe dans son assiette quand elle reçoit (c'est calculé à la carotte près) ? Suis-je censé m'émerveiller de la faculté de transformation d'une société ? D'accord, j'aime pas les vieux et il va m'arriver exactement la même chose qu'à Baboussia dans 60-70 ans, mais soit, je suis jeune, con, individualiste et je le payerai plus tard, quand je serai vieux, con, solitudinal et triste.

Le problème, c'est que le sort de Tossia m'indiffère. Oui, la société change, on met les vieux à l'hospice, ils s'ennuient, on va pas les voir, on leur est redevable (ah bon). Ok, mais je ressens rien, c'est tout. Un petit éclat de rire quand Victor pousse l'autre parce que c'est brusque et inattendu, mais sinon, voilà. Aussi, la scène finale, avec ses rires d'enfants à la Teletubbies, sa photographie brillante, étoilée à paillettes (c'est une impression), je la trouve fort niaise. Oui, je comprends, elle veut mourir et rejoindre ses souvenirs, qui eux aussi, ont plus leur raison d'être, mais, mais, mais POURQUOI des rires d'enfants teletubbiens, HEIN ? Enfin, on se console presque à la toute fin : regard fixe plein de reproches, genre qu'est-ce que tu me veux, sale réfugié de merde, qu'est-ce que j'en ai à foutre de ton accès de culpabilité ? Mais quand même, la fin est bien pourrie.

Donc voilà, ça m'a ni plu ni déplu. Je dis Ah ok devant l'éternel et je passe à autre chose. Enfin, point positif : l'accordéon et les morceaux de la bande sonore, qui sont très bien, mais il faut aimer l'accordéon, ce qui est pas mon cas, mais bon, là, ça fonctionne bien, c'est joli et ça donne envie d'aller en Russie. J'aurais voulu m'attacher à quelque chose pourtant. Et pourquoi il faut absolument donner une note, stupide site ?

(Remarquez que j'ai pas parlé de la rencontre entre la génération de Tossia et la dernière, celle de son arrière-petite-fille. C'est le seul moment du film où Tossia sert à quelque chose. Délier une langue (les parents de la petite sont quand même affreux de l'infantiliser comme ça. C'est clair qu'ils la croient débile, les pauvres cons. À mon avis, c'est plutôt ça, son mutisme : Papa, Maman, vous me faites honte, j'ai 10 ans, vous êtes pathétiques, arrêtez de faire les clowns. Oui, la Tchétchénie, mais bon, voilà, vous êtes pire que la Tchétchénie.) ; délier une langue est et demeure la chasse gardée des vieillards. C'est aussi le reliquat d'une utilité, une sorte de recul, de prise de conscience spontanée : Ah oui, tiens, il peut encore servir, le vieux pruneau sec. Bref.)
Megillah
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le 16 févr. 2011

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