Baby Cart, troisième. Un nouveau terrain d'expérimentation pour Misumi. Ogami Itto, toujours accompagné de son fils Daigoro, continuent leur longue traversée du désert, "entre la vie et la mort", en apprenant à vivre avec la mort. S'il est beaucoup moins fou (exceptée une scène), plus classique et donc moins jouissif que le volet précédent, cet épisode n'en demeure pas moins intéressant.
La plupart des combats, à vrai dire tous sauf l'avant-dernier, sont d'une étonnante sobriété. Marque de fabrique de la saga, Itto découpe ses ennemis en une fraction de seconde, mais la configuration dans laquelle ces morceaux de boucherie sont délivrés évolue sans cesse. Il y a un vrai désir (et plaisir) d'innovation tout en gardant une formule qui fonctionne bien. Chaque combat, ou presque, est d'une étonnante rapidité, plié en quelques secondes une fois les armes dégainées. On ne s'en lasse pas.
Une scène est particulièrement marquante, celle de la torture que Itto s'infligera pour épargner la vie d'une jeune prostituée : les coups de bâtons alors qu'il est suspendu la tête en bas, sous les cris "buri-buri !" affolés et affolants, ne laissent pas indifférent. La scène presque finale du gros carnage, elle, n'atteint peut-être pas la hauteur de jouissance espérée : on est plus amusé que vraiment séduit par ce "baby cart" d'une puissance de feu incroyable. Mais c'est un élément parmi d'autres qui renforce le parallèle qu'ont voulu établir les auteurs avec la série B occidentale et le western spaghetti, évidemment. Présence remarquée d'armes à feu, personnages pouilleux aux dents noircies et aux rires inquiétants : il n'y a aucun doute. En dehors de cette scène apocalyptique de massacre, un certain parti pris de sobriété (hormis le coup de la vision subjective de la tête qui roule...) se fait sentir.
Avec beaucoup de séquences contemplatives, saupoudrées d'accès de violence bien juteuse, cet épisode se concentre plus que les autres sur le bushido, sur ses codes et sur sa légitimité. Deux visions et deux pratiques s'affrontent, à travers les personnages de Kenbei et Itto. Avec une société gangrénée par le mal et la déchéance, leur loyauté fait figure d'exception. Itto a une lecture très critique des codes du samouraï, alors que Kenbei souhaite l'appliquer à la lettre. L'application directe et crispée sur la notion d'honneur d'un côté, et une version plus réfléchie et mieux assimilée de l'autre, mais qui vaudra à Itto une certaine incompréhension de la part de ses semblables : "he is not human, but a monster".
[AB #123]