Si pour son nouveau film le réalisateur britannique a choisit de partir aux États-Unis, il continue d'exercer le cinéma qu'il a toujours réalisé depuis ses débuts. A savoir, faire un film de genre en reprenant tous ses codes pour mieux les détourner et les mettre à sa sauce. C'est ce qui constitue le moteur de toute son œuvre et Baby Driver n'en fait bien évidemment pas exception.
Mais comme à son habitude, ce partit prit ne se résume pas à un simple exercice de style, car chaque univers du cinéaste ne sert que de support à des histoires bien plus profondes qu'elles n'en ont l'air; mettant toujours en scène des personnages un peu paumés qui se questionnent sur eux-mêmes et sur leur place dans la société. Et non je ne suis pas le seul à le penser !
Notre héros du jour en est l'illustration parfaite. Décrit à tort par Durendal comme un hipster se donnant un air cool et sûr de lui, il est en réalité tout le contraire. Baby est un marginal, presque muet qui n'a aucune autre attache en dehors de son patron et de son tuteur légal. C'est un jeune homme blessé suite à un tragique accident dans lequel il a perdu ses parents et qui lui vaut depuis ce jour un sifflement continue dans les oreilles. Un bruit strident qu'il recouvre sans cesse par de la musique, comme pour recouvrir l'handicap et le traumatisme qui en découlent. Ne pouvant pleinement faire partie de son monde à cause de ses acouphènes, il a choisit d'en être le maître en rythmant chacune de ses actions par des pistes musicales. Ainsi, quelque soit la situation dans laquelle il se trouve ou l'activité qu'il doit accomplir, Baby choisira systématiquement un morceau adapté à ce qu'il est entrain de vivre et se calquera sur le rythme de sa bande-son. C'est ce qui lui permet d'avancer et d'être toujours performant dans tout ce qu'il entreprend. Mais dès l'instant où Baby se retrouve privé de ses Ipods, le sifflement incessant revient à la charge, son équilibre se fragilise et des images de son terrible accident lui reviennent en mémoire.
La musique constitue donc pour lui une échappatoire à sa condition de vie, mais également à l'univers violent auquel il fait partie. En effet, Baby ne prend aucun plaisir à rouler des mécaniques pour des malfrats, il ne le fait que pour rembourser une dette qu'il a contracté auprès du grand manitou (l'angoissant Kevin Spacey parfait dans son rôle) et si il prend un certain plaisir à assurer sa conduite, le crime le débecte, en particulier les activités sanglantes propres à ce genre de boulot. Sa musique lui permet d'instaurer une distance entre lui, son monde et ses collègues tous plus tarés et violents les uns que les autres.
Dès lors, l'enjeu du film pour notre héros sera de fuir cette vie dans laquelle il s'est enfermé et de partir loin sur les routes en compagnie de Déborah, une fille pleine d'entrain rencontrée en cours de film avec qui il partage sa passion pour la musique et son désir de liberté face à un cadre professionnel très contraignant. Une fuite utopique qui sera toujours de courte durée, obligeant notre héros à accepter son destin ou tenter d'en devenir le maître quitte à tomber lui aussi dans cette violence criminelle qui le répugne tant.
Baby Driver ce n'est donc pas qu'un divertissement estival pour teenagers, mais bien la fable d'un individu tentant de regagner sa liberté à sa manière dans le monde déviant et oppressif dont il est captif.
De ce postulat grotesque, Edgar Wright en tire un film de gangster musical et poétique. Une œuvre jouissive capable de contenter à la fois les fans de Fast & Furious, les mélomanes de tous bords et les cinéphiles amateurs de grande mise en scène sophistiquée. Le réalisateur donne vie à un fantasme qui m'est chère au cinéma, celui d'assister au mariage parfait entre un long-métrage et sa musique. Ces instants de grâce où l'on a la sensation que chaque plan, chaque action à l'écran se révèle être en parfaite cohésion avec sa piste sonore. Un travail d'orfèvre que seuls quelques illuminés prennent encore la peine d'accomplir de nos jours.
Il y a quelques mois, la chaîne Every Frame a Painting publiait une vidéo alarmante sur le cas des OST du Marvel Cinematic Universe. Ce triste constat peut malheureusement s'appliquer à tous les blockbusters ne notre époque. Aujourd'hui la musique a perdu de son importance au sein d'un long-métrage. Les réalisateurs de ces produits sur commande ne s'en soucient guère. Le montage est fait dans le silence et le compositeur se doit d'apporter sa contribution en dernier, sur un enchaînement de plans déjà établit et avec maximum 1 mois pour pondre une partition d'1h. Et comme si cela ne suffisait pas, on demande bien souvent à ce dernier de ne pas faire de vague. Que sa musique serve simplement de soutient discret à l'action sans qu'elle ne vienne trop monopoliser l'attention du spectateur. Aussi, dans de telles conditions de travail, il ne faut pas s'étonner de se retrouver avec des musiques insipides en guise de Bande-Originale.
C'est pour cela que dès sa première séquence, Baby Driver apporte une bouffée d'air frais incommensurable dans le cinéma populaire des années 2010. En seulement 6minutes, il redonne à la musique toute sa grandeur au sein d'un long-métrage. La synchronisation parfaite entre l'image et la bande-son provoque instinctivement en nous quelque chose de fort, les accords endiablés de Bellbottoms donne du poids à la course poursuite qui se joue devant nous et la rend de fait, au combien épique alors que nous ne savons rien des personnages ni de leurs enjeux.
Car la musique ne fait pas que renforcer notre perception des évènements. Elle donne également une structure à toutes les scènes qu'elle accompagne. La BO étant établit avant la production du film, c'est elle qui a imposé son rythme au monteur et pas l'inverse. Et comme Wright choisit toujours ses morceaux à merveille, on a droit des séquences extrêmement bien montées qui suivent la cohérence du titre, permettant une certaine variée de rythme dans les scènes d'action ce qui les rendent non seulement plus lisibles que dans 70% des actioners américains mais aussi incroyablement plus palpitantes.
Et tout le film fonctionne sur ce principe, y comprit les scènes les plus intimistes, y comprit les moments les plus insignifiants, toute la mise en scène repose sur la musique. A tel point que si le propos de l’œuvre vous passe complètement par dessus la cervelle, vos oreilles elles, ainsi que votre vue ne resteront pas insensibles à ce spectacle d'une précision hors du commun. Mais ne vous y méprenez pas, Wright n'oublie pas l'utilité de son parti prit puisqu'il sert avant tout à nous faire voir le monde tel que le perçoit Baby grâce à ses écouteurs. Nous sommes ainsi en totale immersion avec le personnage principal et les dissonances musicales (musique dé-synchro, inaudible ou inappropriée à la situation vécue) si elles peuvent apporter un décalage comique évident, sont surtout l'illustration du chamboulement intérieur qu'il vit au moment où elles se produisent. Comme lors de cette scène déjà culte où Baby vient chercher sa copine dans son restau sous une musique sexueeeeeeeelle. Manque de bol, Buddy son ex-coéquipier l'attend de pied ferme pour lui tirer une balle dans la tête. L'apparition de ce dernier sera donc accompagné de ce morceau absolument pas prévu par notre héros. Fou rire dans la salle mais aussi gros désarroi, à l'image de ce que notre héros ressent à cet instant précis. Et quand la musique se coupe, finit de rire, l'ambiance devient instantanément plus pesante. On remarque alors que rien dans la mise en scène ne visait à provoquer le rire, seule la track s'y évertuait ce qui illustre de façon remarquable le pouvoir que peut avoir une partition sur l'ambiance d'un film.
J'ai pu lire ici et là beaucoup de critiques affirmant que Baby Driver réinventait le genre de la Comédie Musicale et qu'il était en ce sens meilleur que La La Land sortie la même année. C'est une déduction avec laquelle je suis en désaccord. Ces deux films ne surfent pas du tout sur les mêmes plates bornes, elles ont une utilisation différente de la musique au sein de leur récit, car elles ne traitent pas du même sujet.
Le film de Chazelle utilise l'imagerie des comédies musicales d'antan pour faire de ses personnages de doux rêveurs nostalgiques et créer ainsi un contraste avec les désillusions du monde réel auxquelles ils seront confrontés.
Edgar lui est dans une démarche rappelant fortement les Fantasia de Walt Disney et leur ambition de donner corps à des symphonies classiques grâce à l'animation. La différence c'est que dans le Fantasia de Wright, la forme adoptée sert avant tout le développement d'un propos qui donne du sens, à tel point qu'on imaginerait difficilement que la même histoire puisse être racontée autrement.
Aussi, si il est de bon ton de crier au prodige pour désigner un homme capable de marier aussi bien l'image et la musique dans son long-métrage, lorsque ce dernier parvient également à assembler la forme et le fond de son film avec autant de cohérence, moi je n'hésite pas à le qualifier de génie.