« Le cinéma est encore grandiose et époustouflant », c'est ce qui transpire de Babylon, la nouveauté flamboyante de Damien Chazelle, une œuvre gargantuesque débordante de virtuosité et de passion. Toujours aussi admiratif de la musique ainsi que du cinéma, il conjugue ses passions avec brio tout en marquant l'originalité. Nouvelle mutation surprenante dans sa filmographie, l'œuvre est signée par une sorte de Rabelais moderne : montrant un récit savoureux malmené par des petites touches de vulgarité et de trivialité. Le film s'impose comme un véritable feu d'artifice de mise en scène, crépitant de vie et de décadence au travers des années 1920-1930 à Los Angeles. Dans un monde populeux de stars; épris par la démesure, les spectateurs suivront les frasques d'une vaste palette de personnages extravagants, excessifs, en quête de gloire ou en déperdition de succès, complètement outranciers voire totalement fous d'addictions en tout genre.


Immense à tout point de vue, l'œuvre dépeint alors une richesse cinématographique protubérante, flanquée d'une nouvelle musique entraînante et mémorable de Justin Hurwitz. La réalisation s'illustre de visuels délirants, de mouvements et de détails minutieux ainsi que de thématiques opulentes en couleurs, des élancées festives et lyriques s'exaltent en humour, en décadence mais également en amours survoltées, dans la foule et pour le cinéma. Le récit aborde le destin de plusieurs personnages, dont les trois têtes d'affiche principales. Margot Robbie y interprète avec rage Nellie LaRoy, excentrique à son plus haut point, suscitant un érotisme ravageur, déjà star, accro à la célébrité et à la poudre blanche... Brad Pitt alias Jack Conrad, incarne avec talent une célébrité majeure du cinéma muet, sérieux fêtard, un tantinet porté sur la boisson. Et enfin, le mexicain Manuel Torres joué avec distinction par le surprenant Diego Calva, son personnage est droit et s'avère un véritable appui pour ses collaborateurs entrainant son ascension professionnelle. À travers les autres personnages très notables de l'œuvre, nous pourrions citer l'envoûtante Lady Fay Zu (Li Jun Li), le producteur dépressif George Munn (le petit témoin Lukas Haas), le talentueux Sidney Palmer (Jovan Adepo) ou bien encore le déliquescent James McKay (Tobey Maguire).


En bref, il s'agit d'un film qui renoue avec la perfection des films d'antan, proposant une histoire brillamment narrée entre comédie et tragédie où se pavane le génie même, bourré d'adrénaline. Un film que je conseille ardemment de voir avant de progresser davantage dans la suite rédigée ci-dessous.

Des Festivités éléphantesques !

Montagnes d'abondance, musiques frénétiques où s'accorde la cohue, indubitable grouillement de folie et de fête. Se dessinent ainsi des seins écarquillés, des robes, des fracs et des déguisements fantasques. Les culs se dandinent à profusion et les "Ku" profitent de la récréation, moment de permission exubérante où Kusturica brame des chants indélicats et Kubrick miroite des corps lubriques. Alcools, drogues, débauche, bizarreries s'embarquent dans cette vaste foire de la démesure, introduisant en apothéose un pachyderme, corps opulent et gargantuesque au sein de ce petit espace d'égarements éphémères. C'est sur cette scène que LaRoy vêtue d'une robe écarlate, éblouit la population d'une danse survoltée en chorégraphie captivante, suscitant l'aurore de la future "Wild Child".


Les réceptions de bien-pensance en font ensuite le contraste fort, révélant une droiture artificieuse de la part de grandes et riches figures dont les « fêtes » se retrouvent bornées d'ennui pour ces habitués des grands relâchements. Comme dans le cinéma, les mentalités changent et les gens veulent de la « moralité ». Blagues vaseuses, remarques osées envers leurs « attractions » et « distractions » se disputent, aussi bien concernant la couleur de peau de Palmer, que de la fausse réussite de Conrad et de l'extravagance de LaRoy, cachés sous des airs de mutisme hypocrite. Révoltés, ils partiront à leur manière, silencieusement voire plus bruyamment pour d'autres... Nous invitant à une explosion de sincérité de la part de Nellie, racontant sa fameuse blague de l'ours et du lapin, dévorant impétueusement le buffet et le rendant aimablement en ce lieu qu'elle exècre si bien, à mille lieues de sa nature rocambolesque.


Enfin, des soirées très privées au Blockaus inaugurent la descente aux enfers par son guide au visage blafard, le mafieux McKay. Comme une promesse, Damien Chazelle nous fait croire à une redite des Festivités nostalgiques puis nous laisse entrevoir les dessous nauséabonds de Los Angeles. Cette descente horrifique est justifiée car ils ne s'amusent plus assez, cherchant le malsain comme égaiement. On croise au détour Gaspar Noé qui s'inspire pour de futurs projets, dans l'immoralité, la perversion et l'obscénité. Le réalisateur nous surprend dans son illustration de la vulgarité et de la violence de cette époque, aux antipodes de ses autres œuvres. Le spectateur assiste impuissant, comme Manny et son camarade le comte, à une gradation du glauque aboutissant à l'attraction gastronomique de la soirée, de quoi rendre furieux Ratatouille.



Une Tragédie guignolesque

Devenus obsolètes certains de nos personnages connaissent un destin tragique. Le plus émouvant demeure le dialogue entre Fay Zu et Jack Conrad, un texte d'une tendresse authentique avec ces mots finals de retrouvailles, peut-être à Venise ou peut-être Prague. Jack Conrad, une figure toujours restée droite, dépassée par la révolution cinématographique et ses amours fugaces, un personnage qui restera baigné de sympathie : il demeure attaché à George; le premier qui lui a donné une chance, et se présente comme le seul à avoir donné au même garçon, le plus haut pourboire. Porte entrouverte, tâche pourpre exécutrice, il demeure éternel parmi les anges et les fantômes... La destinée de Nellie est également dramatique via ses excès addictifs. Sa frivolité lui assène indifférence et maintes dettes dans les jeux d'argent, dont celle qui lui vaudra embarras auprès de la mafia. Bardée de problèmes et de pleurs, l'amour triomphe avec Manny, l'ange-gardien habituel qui la sauve une fois de plus, pour finalement risquer sa vie et ne plus revoir son amour, une fois de plus partie dans ses dérives sombres.


Pitreries en tout genre dénotent ces tragédies, et apportent un contraste humoristique important. Périple du remue-ménage d'éléphant, gags de Conrad qui rentre de soirée, cavalcade et course poursuite de figurants, George à lui seul, duel de serpent à sonnette, illustration de l'intérêt du son (vacarme aux latrines) et bien d'autres. L'arrivée du parlant apporte également nombre de péripéties dont notamment le tournage avec Nellie qui use du comique de répétition : problèmes de sons, de placements de textes, de cabine suffocante, etc. Évoquant par la même occasion les particularités du cinéma qui font sa technicité.



Une Ode au Septième Art

Effectivement, Chazelle reflète la puissance du cinéma à travers son long-métrage, il en cite son avancée fulgurante du muet au parlant, illustrant également son expérience de cinéaste et de cinéphile. Il coordonne le destin parallèle de Nellie et de Manuel, tout deux inaugurant leur premier tournage. Dans un microcosme cinématographique, bondé d'une variété de plateaux où chacun tourne en même temps, des Romains côtoient des Amérindiens qui côtoient eux-mêmes des cowboys. Nellie, mis à part son premier maquillage, est réellement faite pour être à l'écran et déploie des émotions directes liées à son vécu qui surprend l'ensemble des regardeurs. Sa quête de la caméra et de la célébrité semble alors s'être mise en branle, la formatant déjà dans un moule malheureusement préétabli.


Quant à Manuel, il assiste à la grandiloquence et le désordre lors d'un tournage du réalisateur Otto Von Strassberger (Spike Jonze). Véritable chaos, proche d'une réelle bataille superbement mise en image où des accidents s'accumulent, humains comme matériels avec la destruction des dix caméras. Chargé de trouver LA caméra, Manuel sauve le tournage et les moyens engendrés en rapportant la caméra sous les dernières lueurs solaires, permettant la réalisation somptueuse de la scène finale. Instant flottant, titubant sous la grimpée de Jack Conrad, l'acteur se réveille; désinhibé de son ivresse. Illumination de l'embrassade du chevalier, instant magique et improbable, d'une beauté fascinante, attirant même un papillon improvisé vedette.

Consécration suprême, voici le retour d'un doyen de Hollywood, Manny Torres accompagné de sa femme et de sa petite fille. Il renoue la nostalgie, passant le flambeau mémoriel puis se dirige vers l'expérience de la salle de cinéma. Il a participé à quelque chose d'immense, intemporel et prépotent, l'art cinématographique qui rassemble toute sorte de profils, l'art comme mémoire où les fêtes se déroulent toujours, Jack Conrad vivra encore, Nellie LaRoy respirera encore et l'amour entre Nellie et Manny y est ancré. Les larmes face à tant de beauté coulent, gradation et montage bouillonnants, un hommage visuel et musical puissant qui vivra également très longtemps...



Publiée le 17 janvier 2023

Créée

le 25 janv. 2023

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Cubick

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